Dans cette affaire, le Tribunal administratif du travail (« TAT ») applique pour la première fois les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3 (ci-après, l’arrêt « Caron »), rendu neuf mois plus tôt. 

Avant de traiter de cette décision du TAT, un bref rappel de l’arrêt Caron s’impose.

Lorsqu’un travailleur subit une lésion professionnelle en vertu de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles (« LATMP »), et qu’il conserve des limitations fonctionnelles permanentes le rendant incapable d’exercer son emploi prélésionnel, il revient à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») de lui déterminer un « emploi convenable » qui respecte ses limitations fonctionnelles. La CNESST examine d’abord s’il existe un tel « emploi convenable » chez l’employeur et, si ce n’est pas le cas, elle en détermine un ailleurs sur le marché du travail. 

Or, depuis l’arrêt Caron, la CNESST doit désormais non seulement examiner s’il existe un « emploi convenable » chez l’employeur, mais également s’assurer du respect de l’application de la Charte québécoise lequel englobe l’obligation d’accommodement au travail d’un salarié souffrant d’un handicap.

L’affaire Vallée et Ville de Montréal constitue un des premiers cas d’application des enseignements de la Cour suprême par le TAT.

Les faits

Un jardinier et préposé aux travaux généraux syndiqué à la Ville de Montréal, pour l’arrondissement Côte-des-neiges, subit un accident du travail en se blessant au coude droit. Sa réclamation pour lésion professionnelle est acceptée.

En attendant son rétablissement, l’employeur l’assigne de façon temporaire à d’autres tâches, dont le pelletage de neige. Malheureusement, en pelletant, le travailleur se blesse au niveau des membres supérieurs gauches puisqu’il compensait pour sa blessure du côté droit. Ultimement, ses limitations fonctionnelles du côté gauche et du côté droit seront permanentes. En raison de celles-ci, il est ainsi déterminé que le travailleur ne pourra plus exercer son emploi prélésionnel de jardinier et préposé aux travaux généraux.

C’est dans ce contexte que la CNESST doit examiner s’il existe un emploi convenable chez l’employeur conformément à la LATMP. Dans le cadre de la détermination de cet emploi convenable, le travailleur revendique un poste de « préposé à l’entretien sports et loisirs », qui comprend différentes tâches telles la cueillette des déchets et l’utilisation de la vadrouille, de la pelle et d’outils électriques ou générant des vibrations ou des contrecoups.

Un ergonome mandaté par la CNESST jugera qu’il est possible pour la Ville de l’accommoder en modifiant la façon d’exécuter le travail en utilisant des « micropauses » de 5 à 30 secondes pour lui permettre notamment de changer de tâche ou de main, en alternant les tâches. L’ergonome suggère aussi de modifier la façon de maintenir les outils de travail et de limiter les efforts associés au déplacement de matériel à l’aide de chaudières ou d’une pelle.

L’employeur, se fondant sur l’opinion de l’ergonome qu’il a mandaté, est en désaccord avec la solution proposée et estime qu’il n’est pas possible d’accommoder le travailleur dans cet emploi. Comme il n’y a qu’un seul préposé à l’entretien sports et loisirs par arrondissement, le travailleur doit en mesure d’effectuer toutes les tâches de ce poste. L’employeur met donc fin au processus de recherche d’un emploi convenable sans effectuer d’autres démarches afin de trouver ou de modifier un poste existant.

Jugeant que le travailleur est incapable d’exercer l’emploi de préposé à l’entretien sports et loisirs à la Ville de Montréal – arrondissement Côte-des-neiges, la CNESST rend une décision à l’effet que l’emploi convenable est celui de « préposé à l’entretien/nettoyeur d’édifices à bureaux (classe B) » ailleurs sur le marché du travail.

Le travailleur conteste la décision de la CNESST au TAT.

Entre-temps, l’arrêt Caron est rendu avec ses conséquences qu’on connaît, soit l’intégration de l’obligation d’accommodement dans le processus de détermination d’un emploi convenable chez l’employeur.

La décision du TAT

Dans sa décision, le TAT donne d’abord raison à l’employeur : le travailleur doit être en mesure d’effectuer l’ensemble des tâches puisqu’il est généralement seul pour accomplir son travail. De plus, sur le plan productif, l’idée de prendre des micropauses n’est pas réaliste. Le TAT conclut donc que le travailleur n’est pas capable l’emploi de préposé à l’entretien sports et loisirs dans l’arrondissement de Côte-des-neiges.

Mais l’analyse du TAT ne s’arrête pas là. Le Tribunal se demande ensuite si l’employeur a satisfait à son obligation d’accommodement en vertu de la Charte. 

Selon le Tribunal, l’exercice réalisé par l’employeur est « incomplet » et « malgré sa bonne foi, l’employeur n’a pas fourni les efforts nécessaires pour satisfaire à son obligation d’accommodement jusqu’à la limite de la contrainte excessive ».

Les reproches du TAT à l’endroit de la démarche de l’employeur sont nombreux. Selon le TAT, après avoir reçu le rapport de l’ergonome du travailleur et avoir exprimé ses doutes sur la faisabilité des accommodements proposés par celui-ci, l’employeur n’aurait pas dû décliner l’offre de la CNESST de se rencontrer pour chercher d’autres avenues possibles. 

Après la décision de la CNESST sur l’emploi convenable, l’employeur n’a pas non plus fait de démarches sérieuses pour tenter de satisfaire son obligation d’accommodement bien qu’il savait que le travailleur souhaitait conserver son lien d’emploi.

De plus, l’employeur n’a impliqué ni le syndicat ni la CNESST lorsqu’il a mandaté un ergonome. Puis, lorsque son ergonome a conclu que le travailleur ne pouvait exercer l’emploi de préposé à l’entretien sports et loisirs en raison de ses limitations fonctionnelles, l’employeur a mis un terme à ses démarches dans le but de trouver un accommodement pour le travailleur. Selon le TAT, l’employeur n’a pas démontré qu’il a envisagé des solutions et qu’elles ne pouvaient être mises en application, car elles constituaient une contrainte excessive. 

Soulignons qu’un représentant de l’employeur a admis à l’audience qu’il n’avait pas considéré la possibilité que le travailleur puisse exercer cet emploi dans d’autres arrondissements. Pourtant, la convention collective permettait la réintégration dans une autre unité syndicale. De plus, la preuve présentée à l’audience démontrait que, dans certains arrondissements, les tâches de préposé à l’entretien sports et loisirs peuvent varier. 

Dans ces circonstances, le TAT conclut qu’il était prématuré pour la CNESST de rendre une décision déterminant un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail. Le Tribunal retourne donc le dossier à la CNESST afin qu’elle reprenne le processus de détermination d’un emploi convenable chez l’employeur en collaboration avec l’employeur, le travailleur et son syndicat.

Référence : Vallée et Ville de Montréal — Arrondissement Côte-des-neiges-Notre-Dame-de-Grâces, 2018 QCTA 5440.

Que retenir de cette décision ?
  1. L’employeur ne devrait pas limiter ou cesser ses démarches de recherche d’un emploi convenable en raison du fait qu’il n’en existe pas dans son entreprise, sans avoir évalué toutes les avenues possibles d’accommodement jusqu’à contrainte excessive ;
  2. L’employeur devrait impliquer le travailleur et la CNESST dans ses démarches, et même le syndicat représentant le travailleur lorsque celui-ci est syndiqué.