Dans le cadre d’un grief contestant le congédiement d’une salariée en absence pour invalidité, le syndicat demande à l’arbitre d’ordonner à l’employeur de lui communiquer un enregistrement vidéo avant l’audience d’arbitrage. Cet enregistrement vidéo, obtenu suite à la filature de la salariée, la montrerait en train d’accomplir des activités incompatibles avec sa prétendue invalidité. L’employeur consent à communiquer l’enregistrement vidéo seulement après avoir interrogé la plaignante à l’audience.

Les représentations des parties

L’employeur se fonde sur la jurisprudence arbitrale fortement majoritaire voulant que l’arbitre ne doive pas contraindre une partie à communiquer sa preuve avant le début de l’arbitrage, incluant un enregistrement vidéo.

Le syndicat invite l’arbitre à réviser la jurisprudence arbitrale sur cette question en s’inspirant du nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2016, qui favorise le « débat loyal » et la communication préalable de la preuve devant les tribunaux de droit commun. Le syndicat s’appuie sur une sentence arbitrale isolée ayant fait droit à une telle demande du syndicat à la lumière du nouveau Code de procédure civile, s’écartant ainsi de la jurisprudence arbitrale majoritaire.

Les motifs de la décision

La convention collective étant silencieuse sur le sujet, l’arbitre devait déterminer s’il était justifié, selon la législation applicable, d’ordonner la communication préalable de la preuve vidéo de l’employeur.

Se ralliant à la jurisprudence arbitrale très majoritaire, l’arbitre conclut qu’il n’est pas opportun d’ordonner à l’employeur de communiquer sa preuve avant l’interrogatoire de la plaignante, y compris l’enregistrement vidéo demandé.

Tout en reconnaissant que les communications préalables entre les parties peuvent améliorer l’efficacité du processus d’arbitrage, l’arbitre rappelle que le régime des rapports collectifs de travail est encadré par des règles spécifiques, différentes du Code de procédure civile. Puisque la réforme de la procédure civile n’a pas modifié les dispositions du Code du travail d’où l’arbitre tire sa compétence, cette réforme n’a donc pas assujetti l’arbitrage de grief aux règles de communication préalable de la preuve.

De plus, l’arbitre reproche au syndicat de proposer un « emprunt partiel » inapproprié au Code de procédure civile. Cet emprunt serait au profit d’une seule partie : le syndicat (et par conséquent le salarié). En effet, une demande de communication préalable de la preuve se présenterait pour la très grande majorité des cas dans des affaires disciplinaires, où l’employeur a le fardeau de prouver la justesse de la mesure imposée. Selon l’arbitre, en accordant l’ordonnance recherchée par le syndicat :

« L’employeur se trouve obligé de révéler une pièce qui pourrait être maîtresse pour sa cause, avant même de décider de la produire, tout en restant tenu de vivre avec la simplicité de la procédure usuelle pour l’ensemble du processus. »

Cet emprunt partiel à la procédure civile risquerait donc d’altérer l’équilibre du processus d’arbitrage.

L’arbitre retient également que le fait d’interroger la plaignante avant qu’elle ait accès à l’enregistrement vidéo n’est pas déloyal en principe. Au contraire, ceci est même autorisé par le Code de procédure civile, qui prévoit la possibilité de tenir un interrogatoire préalable, avant le procès.

Enfin, l’arbitre remarque les salariés syndiqués ne sont donc pas désavantagés par rapport aux salariés non syndiqués. En effet, il n’y a pas davantage de communication préalable de la preuve dans le cas des salariés non syndiqués qui exercent un recours en vertu de la Loi sur les normes du travail, ce recours n’étant pas régi par la procédure civile et pouvant mener à la réintégration. En comparaison, s’il est possible d’obtenir la preuve avant procès devant les tribunaux de droit commun, le salarié doit en contrepartie assumer des coûts importants pour l’exercice de son recours et n’a pour seul remède une indemnité de fin d’emploi, sans possibilité de réintégration.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’arbitre rejette la demande du syndicat d’obtenir au préalable l’enregistrement vidéo de l’employeur.

Référence : L’Association des éducateurs du Collège Bourget (CSQ) et Collège Bourget, 2017 QCTA 205

Conseil pratique aux employeurs

Bien qu’il soit possible d’interroger le salarié fautif à l’audience avant la communication de la preuve contre lui, cet interrogatoire aura souvent lieu longtemps après les faits à l’origine du grief. L’employeur a donc tout intérêt à bien documenter la version des faits donnée par le salarié lors de l’enquête, par exemple par des comptes-rendus détaillés qui lui serviront d’autant plus à l’audience d’arbitrage.