Lorsqu’une plainte de harcèlement psychologique est déposée contre un salarié, l’employeur doit enquêter afin de faire la lumière sur cette situation et souvent, l’employeur confiera cette enquête à une tierce personne.

L’enquêteur ainsi désigné peut-il engager sa responsabilité civile et être poursuivi par le présumé harceleur ?

C’est la question que devait trancher la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Ditomene c. Boulanger.

Les faits

M. Ditomene était visé par des plaintes de harcèlement psychologique déposées par des collègues de travail. Il avait lui aussi déposé des plaintes de harcèlement psychologique contre certains de ses collègues.

L’employeur décide alors de confier l’enquête sur ces différentes plaintes à une enquêtrice expérimentée en la matière. Puis, sur la base notamment des rapports d’enquête soumis par l’enquêtrice, l’employeur congédie M. Ditomene.

Prétendant que l’enquêtrice désignée par l’employeur n’avait pas respecté les règles d’équité dans le cadre de son processus d’enquête, M. Ditomene intente contre elle une poursuite en responsabilité civile.

Le jugement de la Cour du Québec

L’affaire est d’abord jugée par la Cour du Québec qui accueille en partie l’action civile et condamne l’enquêtrice à verser des dommages et intérêts de l’ordre de 3 000,00$ à M. Ditomène. Les deux parties, insatisfaites du résultat, vont en appel de ce jugement.

Le jugement de la Cour d’appel

Saisie de l’affaire, la Cour d’appel rappelle qu’une enquête en matière de harcèlement psychologique, qu’elle soit menée par l’employeur ou par une tierce partie, fait partie du pouvoir patronal de gestion et de discipline. En ce sens, elle n’a pas à être soumise à des exigences comparables à celles s’imposant par exemple à un comité de discipline d’un ordre professionnel. Les règles d’équité procédurale développées en droit administratif et public ne s’appliquent donc pas à ce type d’enquête.

Toutefois, la Cour souligne que l’employeur peut, notamment dans sa politique sur le harcèlement psychologique, s’imposer des normes de conduites à respecter dans le cadre d’une enquête, ou même les imposer aux personnes qu’il charge de faire l’enquête en son nom. En l’espèce, c’était précisément le cas, puisque la politique prévoyait expressément que l’enquêtrice devait voir à « l’équité du processus ».

Cependant, pour la Cour, les termes de la politique étaient assez larges pour laisser à l’enquêtrice une certaine latitude dans les manières de faire. Il suffisait donc qu’elle agisse de manière raisonnable ce qui, de l’avis de la Cour, était le cas en l’espèce.

La Cour d’appel conclut que l’enquêtrice n’a pas commis de faute dans sa conduite de l’enquête et qu’elle n’avait donc pas engagé sa responsabilité professionnelle.

La Cour prendra toutefois la peine de préciser que les enquêtes, suite à des plaintes de harcèlement psychologique, n’échappent pas aux règles ordinaires de la responsabilité civile. Par exemple, si une enquête bâclée menée par un employeur ou par une tierce personne menait à une sanction disciplinaire non méritée et préjudiciable, la responsabilité civile de l’employeur ou celle des personnes chargées de l’enquête pourrait être engagée.

Donc, l’employeur prudent qui effectue une enquête suite à une plainte de harcèlement psychologique devrait s’assurer d’agir de manière raisonnable et surtout, de respecter, le cas échéant, les normes de conduite qu’il s’est lui-même imposées dans ses politiques.

Référence : Ditomene c. Boulanger, 2014 QCCA 2108.