Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), [2015] 2 R.C.S. 789.

Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada se penche pour la première fois sur une forme de discrimination qui trouverait sa source dans la décision d’une autorité étrangère.

Les faits

M. Latif est né au Pakistan. Il pilote des avions depuis 1964, détient une licence de pilote américaine depuis 1991 et, sur la base de cette licence, a suivi de nombreuses formations pour différents appareils. Il a aussi obtenu sa licence de pilote canadienne en 2004. Son parcours professionnel est sans tache.

En 2004, il s’inscrit à une formation au centre de Bombardier à Dallas sur la base de sa licence américaine. Il demande alors une approbation de sécurité aux autorités américaines, conformément aux mesures accrues de sécurité en matière d’aviation mises en place par les États‑Unis dans la foulée des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Cette approbation est refusée.

Bombardier refuse par la suite de lui donner cette formation au centre de Montréal sur la base de sa licence canadienne. En effet, pour Bombardier, elle devait se soumettre au refus des autorités américaines pour tous les types de formation de pilotage et ce, en vertu du certificat de formateur qu’elle a obtenu de la United States Federal Aviation Administration (FAA).

D’avis que le refus de Bombardier de lui permettre de suivre sa formation à Montréal est discriminatoire, M. Latif dépose une plainte auprès de la Commission des droits de la personne (la « Commission »). Suivant des procédures devant le Tribunal des droits de la personne et de la Cour d’appel du Québec, la Cour suprême du Canada est saisie du dossier.

L’arrêt de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême rappelle que la Commission doit prouver, d’une part, que M. Latif a subi une différence de traitement et que, d’autre part, cette différence de traitement est fondée, en partie ou complètement, sur un motif de discrimination prohibé par la Charte.

De l’avis de la Cour, la Commission a été en mesure de démontrer que M. Latif avait effectivement été victime d’une différence de traitement, soit le refus de Bombardier de lui permettre de suivre une formation de pilote.

Par contre, elle conclut, quant au second critère, que la Commission n’a pas été en mesure de prouver un lien entre l’origine ethnique de M. Latif et le refus de lui offrir la formation qu’il souhaitait.

Elle précise que, selon la preuve, Bombardier a refusé la demande de formation à M. Latif uniquement en raison du refus des autorités américaines de délivrer à ce dernier une approbation de sécurité. Or, selon la Cour suprême, la Commission n’a pas présenté de preuve suffisante permettant de démontrer que l’origine ethnique de M. Latif avait joué un rôle, de quelque façon que ce soit, dans la réponse défavorable des autorités américaines à l’égard de sa demande de vérification de sécurité.

La Cour suprême mentionne ceci :

« [88] On ne peut présumer, du seul fait de l’existence d’un contexte social de discrimination envers un groupe, qu’une décision particulière prise à l’encontre d’un membre de ce groupe est nécessairement fondée sur un motif prohibé au sens de la Charte. »

Par contre, la Cour suprême prend bien soin de mentionner que la conclusion à laquelle elle en arrive dans ce dossier « ne signifie pas qu’une entreprise peut se faire le relais aveugle d’une décision discriminatoire émanant d’une autorité étrangère sans engager sa responsabilité au regard de la Charte ». Elle réitère que sa conclusion découle du fait qu’il n’y a tout simplement pas de preuve d’un lien, si minime soit-il, entre un motif prohibé de discrimination et la décision des autorités américaines en cause.

Commentaires

Précisons que devant le Tribunal des droits de la personne, au-delà d’une preuve d’expert à l’effet que les mesures de sécurité aux États-Unis suivant les attentats terroristes de 2001 s’apparentaient, dans leur application, à du profilage racial, aucune autre preuve n’avait été présentée par la Commission en ce qui concerne les raisons pour lesquelles les autorités américaines avaient refusé l’approbation de Sécurité à M. Latif.

D’ailleurs et à cet égard, le Tribunal des droits de la personne avait mentionné ceci au paragraphe 110 de son jugement : « Nous ne connaissons ni le processus, ni les critères, ni les raisons objectives ayant mené les autorités américaines à refuser l’approbation de sécurité de monsieur Latif … ». Même Bombardier, malgré ses demandes, s’était vu refuser la divulgation par les autorités américaines des raisons au soutien du refus d’approbation de sécurité.

À notre avis, il ne faut pas se surprendre, dans un tel contexte, du jugement rendu par la Cour suprême. Rappelons que les faits et la preuve conditionnent le droit.

C’est sans doute ce qui qui a amené la Cour à tout de même mettre en garde les entreprises à ne pas se faire le relais aveugle d’une décision émanant d’une autorité étrangère qui serait elle-même basée sur des motifs discriminatoires.

Qu’en est-il maintenant des tests de dépistages de drogue demandés par les autorités américaines pour certains employeurs dont les employés voyagent aux États-Unis, ou leurs demandes relatives aux antécédents judiciaires d’employés qui ne sont pas les leurs ? Chose certaine, il sera important d’avoir en tête cet arrêt avant de prendre position dans de telles situations, si cela a un effet discriminatoire sur les employés visés.