Dans une décision récente, le Tribunal administratif du travail (le « TAT » ou le « Tribunal ») accueille partiellement trois plaintes pour entrave aux activités syndicales déposées en vertu de l’article 12 du Code du travail (le « Code ») par trois syndicats différents contre un employeur.
Les faits
L’employeur met en ligne un site Web intitulé « Info-Négo » et en informe tous ses employés par courriel. Sur ce site, on retrouve des informations objectives et neutres en lien avec les différentes conventions collectives, les lettres d’entente et l’évolution des négociations collectives en cours avec les syndicats accrédités chez l’employeur. On y retrouve également, sur la page d’accueil, une adresse courriel spécifique qui permet aux employés de poser des questions à l’employeur ou de lui soumettre des commentaires. Tous les employés peuvent même accéder au site Info-Négo par le site Web de l’employeur.
Après avoir appris l’existence du site Info-Négo, trois syndicats déposent contre l’employeur des plaintes en vertu de l’article 12 du Code. Les syndicats allèguent qu’en agissant ainsi, l’employeur entrave les activités syndicales.
Les trois syndicats demandent au TAT d’ordonner à l’employeur de payer à chacun d’entre eux des dommages punitifs s’élevant à 5 000$, de mettre hors service le site Web Info-Négo (incluant l’adresse courriel qui y est affichée) et de diffuser la décision auprès de l’ensemble des salariés.
L’un des syndicats allègue aussi que l’employeur contrevient à son obligation de négocier avec diligence et bonne foi, comme le prévoit l’article 53 du Code ; il demande au TAT de lui octroyer en conséquence des dommages moraux de 5 000$. À ce sujet, la plainte sera d’emblée rejetée.
Mais qu’en est-il des plaintes d’entrave en vertu de l’article 12 du Code ?
La décision
Le TAT débute en rappelant que le Code n’interdit pas à l’employeur de communiquer directement avec ses salariés.
Toutefois, pour déterminer si de telles communications contrevenaient au Code, il faut analyser 1) le contexte des relations de travail dans lequel s’inscrivent les communications reprochées à l’employeur, 2) le contenu des communications en cause, et 3) les conséquences de ces communications sur les activités syndicales.
Tout d’abord, le TAT estime qu’en créant un site Web, l’employeur exerce sa liberté d’expression. Il ajoute que le contenu du site Web est sobre, neutre, livré respectueusement, qu’il ne sous-tend pas de menaces, d’incitations ou d’opinions susceptibles de nuire aux syndicats.
Au surplus, le TAT souligne que rien dans la preuve ne démontre que la mise en ligne d’Info-Négo a eu des conséquences négatives sur les activités syndicales des plaignants.
Cependant, le TAT juge que l’employeur a indûment affecté la crédibilité des syndicats en omettant d’indiquer que lui seul était l’auteur des informations concernant les développements sur les négociations en cours ; selon le Tribunal, l’employeur aurait dû l’indiquer. Le TAT estime que l’absence d’une telle mention constitue une faute de l’employeur, qui ne pouvait pas ignorer les conséquences qu’elles pourraient avoir sur la crédibilité des syndicats.
Pour ce motif, le TAT décide que l’employeur a ainsi contrevenu à l’article 12 du Code. Il lui ordonne donc d’indiquer clairement sur le site Web que les informations qui s’y trouvent n’émanent que de lui, et non des syndicats concernés.
Le TAT étudie ensuite la question de l’adresse courriel affichée sur le site Web Info-Négo pour permettre aux employés de transmettre des questions ou des commentaires à l’employeur au sujet des négociations collectives en cours.
Le Tribunal écrit que les conséquences négatives que ce mode de communication peut avoir sur les activités syndicales sont évidentes. Le TAT souligne que même si seulement neuf courriels ont été envoyés par les employés et qu’aucune conséquence déplorable n’a été observée, la seule existence de cette adresse courriel constitue une entrave devant cesser immédiatement. Il ordonne donc la mise hors service de cette adresse courriel et son retrait du site Web Info-Négo.
Le TAT refuse toutefois d’octroyer quelconques dommages aux syndicats, punitifs ou autres, ni d’ordonner la diffusion de sa décision auprès des salariés de l’employeur.
Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal c. Université du Québec à Montréal, 2022 QCTAT 396 (j. Marie-Claude Grignon).
Article rédigé par Charlotte Côté