Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de loi no° 96 qui devenait ainsi la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi »), Loi modifiant principalement la Charte de la langue française (la « Charte »), également connue sous le nom de la Loi 101

Bien que la Loi ait été adoptée, il importe de souligner qu’elle n’a pas encore été sanctionnée. La majorité de ses dispositions entreront en vigueur à la date de sa sanction par le lieutenant-gouverneur, sanction qui pourrait survenir dans les prochains jours. 

Le présent article se concentre sur les principales modifications et ajouts à la Charte qui entraîneront des implications pour les employeurs œuvrant au Québec. 

L’assujettissement des entreprises fédérales à la Charte 

Dorénavant, la Charte prévoit qu’aucune de ses dispositions ne doit être interprétée de façon à en empêcher l’application à toute entreprise ou à tout employeur qui exerce ses activités au Québec. 

À la lumière de cet article, on peut inférer que le législateur estime que la Charte s’applique désormais à toutes les entreprises exerçant leurs activités au Québec, et ce, peu importe qu’elles relèvent de la juridiction fédérale ou provinciale[1]. À titre d’exemple, les banques, les entreprises de transport interprovincial ou de télécommunications peuvent maintenant se voir visées par les dispositions de la Charte.

L’assujettissement des entreprises de plus de 25 employés au programme de francisation 

Avant l’entrée en vigueur de la Loi, les entreprises qui, durant une période de six mois, employaient 50 personnes ou plus devaient, dans les six mois de la fin de cette période, s’inscrire auprès de l’Office pour que ce dernier leur délivre une attestation d’inscription. Ces entreprises avaient ensuite l’obligation de transmettre à l’Office une analyse de leur situation linguistique dans les six mois de la date de délivrance de l’attestation d’inscription pour élaborer un programme de francisation, le cas échéant.

La Charte prévoit dorénavant que les entreprises employant 25 personnes ou plus sont soumises à cette obligation de s’inscrire auprès de l’Office. Ces entreprises bénéficient toutefois d’un délai réduit de trois mois à partir de la date de délivrance de l’attestation d‘inscription pour transmettre l’analyse de leur situation linguistique à l’Office.

Désormais, les employeurs ayant entre 25 et 49 personnes à leur emploi peuvent se voir ordonner la création d’un comité de francisation, en vue de l’élaboration d’un programme de francisation. Les dispositions antérieures visaient uniquement les employeurs avec plus de 50 personnes à leur emploi.

La Loi prévoit que les employeurs disposent d’un délai de trois (3) ans à partir de la date de la sanction de la Loi pour se conformer à ces nouvelles obligations qui se rattachent à la francisation des entreprises.

Les communications de l’employeur avec ses salariés, le contrat de travail et l’offre d’emploi

En ce qui a trait aux communications des employeurs avec leurs salariés, la Charte consacre l’obligation générale des employeurs œuvrant au Québec de respecter le droit des travailleurs à exercer leurs activités en français. 

À cet égard, les employeurs doivent notamment s’assurer que leurs communications écrites soient rédigées en français. 

De plus, la Charte prévoit maintenant le principe général voulant que le contrat individuel de travail écrit liant un employeur à un salarié doit être en français.

Cependant, elle précise qu’en présence d’un contrat de travail qualifié de contrat d’adhésion[2], ce contrat peut être rédigé dans une autre langue que le français uniquement (1) après que l’employé ou le candidat ait pris connaissance de la version française de ce contrat et (2) que les parties au contrat aient consenti expressément à ce qu’il soit rédigé dans une autre langue. 

Quant aux contrats de travail qui ne peuvent être qualifiés de contrats d’adhésion, la Charte établit qu’ils pourront être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties.

Par ailleurs, les contrats de travail écrits existant avant la date de l’entrée en vigueur de la Loi devront être traduits en français si les employés en font la demande. La loi impose que la traduction se fasse dans les meilleurs délais.

Finalement, la Loi prévoit que, lorsque l’employeur procède à la diffusion dans une langue autre que le français d’un poste à combler dans son entreprise, il doit s’assurer que cette diffusion s’effectue également simultanément en français. L’employeur doit également veiller à ce que ces offres soient diffusées par des moyens de transmission de même nature et atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions gardées.

L’interdiction d’imposer des mesures de représailles : protection contre les pratiques interdites en matière de langue du travail

Dans l’ancienne version de la Charte, il était interdit à un employeur de sanctionner ses employés qui ne parlaient que le français, qui ne connaissaient pas suffisamment une autre langue que le français ou qui exigeaient le respect d’un droit que leur octroyait la Charte.

La nouvelle version de la Charte reprend ce principe, en plus d’établir notamment que l’employeur ne peut imposer à ses employés des mesures de représailles dans les cas suivants : 

  • Si l’employé a exigé le respect d’un droit découlant des dispositions de la Charte ;
  • Afin de dissuader l’employé d’exercer un tel droit ;
  • Parce que l’employé ou le candidat n’a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français alors que l’accomplissement de la tâche ne le nécessite pas.

La personne qui se croit victime d’une pratique interdite de la part de son employeur peut toujours déposer une plainte à son syndicat ou à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») dans les 45 jours de la survenance de la pratique interdite dont elle se plaint. 

Le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») a compétence pour entendre la plainte d’une personne non syndiquée. La plainte d’une personne syndiquée sera quant à elle entendue par un arbitre de grief nommé en vertu d’une convention collective.

Les exigences linguistiques en emploi 

Auparavant, la Charte prévoyait qu’il était interdit à l’employeur d’exiger la connaissance d’une autre langue que le français pour l’accès à un emploi ou à un poste à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance. 

La Charte reprend ce même principe, mais élargit cette interdiction afin qu’elle s’applique aussi notamment au recrutement, à l’embauche, à la mutation ou à la promotion.

Également, la Charte prévoit dorénavant que l’employeur doit avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence.

Afin de respecter ses obligations en la matière, l’employeur doit entre autres s’assurer de remplir les trois (3) conditions suivantes : 

  1. Avoir évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir ; 
  2. S’assurer que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches ; 
  3. Avoir restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’exécution nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance déterminé d’une autre langue que la langue officielle. 

Toutefois, il importe de souligner que la Loi mentionne que le respect de ces obligations par l’employeur ne doit pas avoir pour effet d’imposer une réorganisation déraisonnable de son entreprise.

Finalement, depuis la modification de la Charte, lors de la diffusion d’un poste exigeant une connaissance d’une langue autre que le français, l’employeur doit indiquer les motifs justifiant cette exigence linguistique.

La discrimination et le harcèlement en matière de langue du travail 

Avec l’entrée en vigueur de la Loi, la Charte consacre explicitement le droit du salarié de bénéficier d’un milieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement parce qu’il ne maîtrise pas ou peu une langue autre que le français, parce qu’il revendique la possibilité de s’exprimer dans la langue officielle ou parce qu’il a exigé le respect d’un droit découlant de la Charte. 

Enfin, la Charte précise en outre que l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir ce type de conduite et, lorsqu’une telle conduite sera portée à sa connaissance, pour la faire cesser. 

La personne qui se croit victime d’une telle conduite de la part de son employeur pourra déposer une plainte à son syndicat ou à la CNESST dans un délai de deux (2) ans de la survenance de ladite conduite. Ainsi, le TAT ou l’arbitre de grief auront alors compétence pour entendre cette plainte, selon le cas. 

Recours aux clauses dérogatoires

Le projet de Loi stipule que, dorénavant, la Charte peut se soustraire aux articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne et aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, le législateur met la Charte à l’abri des contestations judiciaires basées sur ces précédents articles. 

Nous resterons disponibles pour assister les employeurs dans l’application et la mise en place de ces nouvelles dispositions ayant trait aux exigences liées à l’usage du français en milieu de travail. Ces nouvelles dispositions auront un impact tant au niveau des communications en entreprise que lors du processus de recrutement du personnel, en ce qui concerne notamment les exigences imposées par un employeur et portant sur la connaissance d’une langue autre que le français, pour ne nommer que certains aspects. 

[1] Nous pouvons cependant anticiper des débats constitutionnels sur cette question portant sur le droit d’une province d’encadrer certaines activités pouvant relever de la juridiction fédérale. 

[2] Dans certaines circonstances, un contrat est qualifié comme contrat d’adhésion lorsque ses dispositions essentielles ont été imposées sans être librement discutées. Il sera opportun de vérifier au cas par cas si les contrats utilisés se qualifient à ce titre.

Article rédigé par Camille Piché, avocate, et Charlotte Côté, stagiaire en droit