Le 28 février 2022, le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT ») a rendu une décision intéressante en lien avec l’application de l’article 326 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (ci-après la « LATMP »).
Les faits
Le travailleur, un chef exécutif exerçant ses fonctions au Suriname, présente une réclamation le 15 juillet 2016 en raison d’un syndrome post-traumatique à la suite d’un évènement inusité, survenu le 21 novembre 2015. La réclamation est acceptée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST »).
L’évènement responsable de l’état du travailleur découle d’une agression criminelle survenue dans la chambre de ce dernier, sur le camp où il exerçait ses fonctions. Alors que le travailleur dormait, des individus armés ont pénétré dans sa chambre avant de le ligoter, le menacer avec une arme et procéder au vol de ses objets de valeur.
Le 28 décembre 2018, l’employeur dépose une demande de transfert de l’imputation du coût, bien qu’il soit à l’extérieur du délai d’un an prévu à l’article 326 de la LATMP. L’employeur justifie le retard du dépôt de la demande par un incendie survenu dans ses locaux, en 2017, ayant détruit tous les dossiers en matière d’accident du travail.
La CNESST refuse la demande de l’employeur le 1er octobre 2020. Ce dernier ne conteste la décision que le 16 novembre 2020, le délai de 30 jours prévu à l’article 358 de la LATMP étant échu. L’employeur justifie le second retard de la contestation par une multitude d’évènements hors de son contrôle, notamment la mort subite de la responsable des dossiers en matière de santé et de sécurité du travail chez l’employeur.
En désaccord avec les conclusions de la CNESST, l’employeur soutient que cette dernière aurait dû l’aviser de ses droits tels que décrits dans la LATMP et le conseiller sur la stratégie à adopter, afin d’assurer la gestion efficiente du présent dossier.
La décision
D’abord, le TAT juge que les évènements hors du contrôle de l’employeur entraînant le retard de la demande de partage de coûts ainsi que le retard de la contestation constituent des motifs raisonnables pour relever l’employeur du défaut d’avoir à respecter les délais.
Le TAT est aussi d’avis que la CNESST aurait dû d’elle-même accorder un transfert de l’imputation du coût dans le présent dossier, car les notes évolutives du dossier démontrent que la CNESST savait pertinemment que l’évènement était survenu en raison de la faute d’un tiers.
Sur cet aspect, le TAT réitère que la CNESST est l’organisme responsable de la gestion de la LATMP et qu’elle doit en conséquence s’assurer que les dispositions prévues à la LATMP soient appliquées. Or, le deuxième aliéna de l’article 326 de la LATMP permet à la CNESST, de sa propre initiative, de procéder à un transfert d’imputation de coût lorsque la lésion découle de la faute d’un tiers.
À cet égard, le TAT reprend les enseignements du Commissaire Robichaud dans la décision Cardinal et Lafarge Groupe matériaux de const[1], lequel rappelle notamment ce qui suit eu égard au rôle de la CNESST :
[59] […] « Le rôle de la CSST en tant que responsable de l’application de ladite loi en est un de transparence ; ses décisions doivent être rendues « suivant l’équité, d’après le mérite réel et les la justice du cas (art. 351). ». La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est déjà assez compliquée par elle-même, autant pour les travailleurs que pour les employeurs ; il ne faut pas que cette loi devienne un labyrinthe. »
[1] Cardinal et Lafarge Groupe matériaux de const., C.L.P. 206713−72−0304, 9 juin 2005, G. Robichaud.
Sodexo Québec, 2021 QCTAT 915 (décision de Simon Lemire, juge administratif)