Le recours aux agences de placement de personnel est devenu un incontournable pour plusieurs employeurs québécois. Toutefois, cette utilisation croissante soulève divers enjeux, notamment quant au respect des normes minimales d’emploi.

En réponse à ces préoccupations, le législateur a adopté, en 2018, la Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail[1] (la « Loi modificatrice de 2018 »). Cette réforme marque l’entrée, au sein de la Loi sur les normes du travail[2] (la « L.n.t. »), de nouvelles dispositions encadrant spécifiquement les activités des agences de placement de personnel. Dans la même veine, le gouvernement a adopté, en 2020, le Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires[3] (le « Règlement »). 

Conformément à l’article 92.7 (1 °) de la L.n.t, le gouvernement peut définir, par voie réglementaire, ce qu’est une agence de placement de personnel. À cet égard, l’article 1 du Règlement prévoit la définition suivante :

« agence de placement de personnel » : une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main‑d’œuvre.

De plus, l’article 10 du Règlement établit les conditions nécessaires à l’obtention d’un permis d’agence, tandis que l’article 11 confère à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») le pouvoir de refuser la délivrance d’un permis dans certaines situations particulières sujet à l’appréciation de la CNESST, même lorsque les conditions de l’article 10 sont remplies.

Jugement de la Cour supérieure du Québec

Suivant l’adoption du Règlement, des associations d’employeurs ont saisi la Cour supérieure afin de demander l’annulation de la définition prévue à l’article 1. Selon elles, l’imprécision de la définition ferait en sorte que des employeurs seraient visés dès qu’ils prêtent un employé à une entreprise cliente, ce qui excède le pouvoir du gouvernement. Elles soutenaient également que le gouvernement avait indûment délégué ses pouvoirs à la CNESST en matière de délivrance de permis. 

En octobre 2022, dans un jugement accueillant partiellement le pourvoi en contrôle judiciaire[4], la Cour supérieure a annulé la définition d’agence de placement de personnel figurant à l’article 1 du Règlement. Elle a jugé que cet article était ultra vires des pouvoirs du gouvernement, estimant qu’il étendait indûment le champ d’application de la L.n.t. en incluant toute entreprise exerçant à titre accessoire des activités de location de personnel, alors que l’intention du législateur était de cibler uniquement les agences spécialisées en placement de personnel. 

En ce qui concerne le pouvoir octroyé à la CNESST en matière de délivrance de permis, la Cour a jugé que le gouvernement n’avait pas illégalement délégué à la CNESST le pouvoir de définir les infractions liées aux activités visées par le permis obligatoire pour les agences de placement. Même si le règlement prévoit que la délivrance du permis peut être refusée lorsque la compagnie a été reconnue coupable d’une infraction qui de « l’avis de la Commission » est liée aux activités de l’agence, cela n’accorde pas à la CNESST un pouvoir arbitraire. En l’absence d’abus ou d’irrégularité, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de sous-délégation illégale et que les dispositions contestées de l’article 11 du Règlement ne sont pas ultra vires.

Il est à noter que la Cour supérieure a invalidé l’article 1 du Règlement sans toutefois se prononcer sur la suspension de son application, se contentant de déclarer sa nullité.

Arrêt de la Cour d’appel du Québec

Validité de l’article 1 du Règlement

Le 12 mai 2025[5], la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure et confirmé la validité du Règlement. Selon elle, bien que large, la définition à l’article 1 du Règlement n’atteint pas un degré d’imprécision susceptible d’en compromettre la validité. Au contraire, elle est logique et raisonnable, en plus de refléter l’intention du législateur d’encadrer ce secteur en constante évolution. La Cour rejette également l’argument selon lequel seules les agences spécialisées sont visées par le Règlement, rappelant que l’habilitation accordée au gouvernement est délibérément large conformément à l’objectif général de la L.n.t., soit de réguler les pratiques liées à la location de personnel.

Validité des articles 10 et 11 du Règlement

La Cour d’appel a également confirmé la validité des articles 10 et 11 du Règlement concluant qu’ils n’outrepassent pas les pouvoirs conférés au gouvernement. Elle souligne que le législateur a délibérément accordé un large pouvoir au gouvernement d’imposer des conditions, des restrictions et des interdictions en matière de permis pour les agences de placement de personnel. L’exercice de ce pouvoir est raisonnable selon elle. 

Elle ajoute que l’article 11 du Règlement n’est pas imprécis et n’a pas pour but ni pour effet de transformer le pouvoir réglementaire conféré au gouvernement en un pouvoir discrétionnaire sous-délégué à la CNESST. Le pouvoir d’administration qui lui est délégué est tout de même limité et circonscrit pour assurer l’application de la norme imposée par le gouvernement et non sa création.

Selon les associations d’employeurs, le Règlement impose une sévérité excessive quant aux conditions de délivrance d’un permis pour les agences de placement, à laquelle aucun autre employeur québécois n’est assujetti. Selon eux, le Règlement est invalide, le qualifiant d’absurde, d’abusif et de discriminatoire. La Cour rejette ces arguments, estimant que les exigences des articles 10 et 11 sont logiques et cohérentes avec les objectifs de protection sociale visés par la loi.

Commentaires

En date des présentes, cet arrêt de la Cour d’appel n’a toujours pas fait l’objet d’un appel à la Cour suprême du Canada. 

Considérant la validité confirmée du Règlement, il sera important de suivre les actions que la CNESST entreprendra pour en assurer le respect.

Rappelons que la L.n.t. et le Règlement exigent que toute agence de placement de personnel détienne un permis délivré par la CNESST pour exercer ses activités au Québec, sous peine d’amende. Cela implique que toute entreprise offrant des services de placement de personnel — que cela constitue son activité principale ou non — doit obtenir un permis. Ainsi, dès qu’une entreprise place un travailleur chez un client, elle est tenue, en principe, de se conformer à cette obligation.

Cette application stricte de la définition pourrait imposer un fardeau administratif important à des employeurs qui n’ont par ailleurs jamais eu l’intention de se spécialiser dans la location de personnel.

Pour toute question ou précision à ce sujet, n’hésitez surtout pas à communiquer avec nos professionnels en cette matière.

[1] Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, projet de loi n° 176, présenté à l’Assemblée nationale le 20 mars 2018.

[2] RLRQ, c. N‑1.1.

[3] RLRQ, c. N‑1.1, r. 0.1.

[4] Association provinciale des agences de sécurité c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3952.

[5] Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, 2025 QCCA 587.

À retenir

La Cour d’appel confirme que la définition d’« agence de placement de personnel » prévue au Règlement est valide, raisonnable et conforme à la Loi modificatrice de 2018. Les articles 10 et 11 du Règlement sont également jugés valides, car ils contiennent des balises suffisantes pour éviter l’arbitraire ou une sous-délégation illégale.