Au Québec, comme partout ailleurs, plusieurs entreprises ont procédé à des licenciements collectifs en raison de la pandémie, dont certaines, sans avis préalable vu l’ampleur et les conséquences de la crise qui étaient difficilement prévisibles. 

Dans ce contexte, la pandémie peut-elle constituer un cas d’exonération pour l’employeur qui n’a pas respecté les délais prévus pour la transmission de l’avis de licenciement collectif ? 

Dans l’affaire Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale du Québec, section locale 712 et Bombardier Aéronautique inc.[1], l’arbitre Nathalie Faucher a eu à se prononcer sur cette question. 

LES FAITS

Des griefs[2] sont déposés par le syndicat dans le contexte de la pandémie de COVID-19 à l’encontre de l’employeur, un avionneur, à la suite d’un licenciement collectif de salariés survenu au mois de juin 2020.

Le syndicat invoque notamment que l’avis de licenciement collectif transmis le 5 juin 2020 par l’employeur au ministre ne respecte pas le délai prévu à la Loi sur les normes du travail (ci-après la « LNT »). Conséquemment, le syndicat réclame que l’indemnité prévue à la LNT[3] en cas de non-respect des dispositions relatives au licenciement collectif soit versée aux salariés concernés, moins les sommes reçues à titre de préavis individuel. L’employeur prétend pour sa part avoir été dans l’impossibilité de donner l’avis au ministre dans les délais prescrits en raison d’un cas de force majeure ou, à tout le moins, d’un événement imprévu, soit la pandémie de COVID-19

En effet, en vertu de la LNT[4], un employeur qui est empêché de donner l’avis de licenciement collectif dans les délais prévus, que ce soit pour cause de « force majeure » ou à la suite d’un « événement imprévu », n’est pas tenu de verser aux salariés l’indemnité prévue à la LNT en cas de licenciement collectif. Il doit alors transmettre l’avis au ministre aussitôt qu’il est en mesure de le faire.

LA DÉCISION

D’emblée, le Tribunal souligne que pour faire droit à l’exonération fondée sur la force majeure, il doit déterminer si l’employeur, au moment où il décide de procéder au licenciement, est en présence d’un événement imprévisible et irrésistible[5].

Or, le Tribunal mentionne que la preuve ne permet pas, selon les faits de cette affaire, de conclure que l’employeur est en présence d’une telle situation de force majeure lorsqu’il prend la décision de procéder au licenciement, et ce, considérant l’insuffisance de la preuve quant au caractère irrésistible de l’événement.

Le Tribunal retient cependant le moyen d’exonération fondé sur la survenance d’un « événement imprévu »[6]. De l’avis du Tribunal, il était effectivement impossible pour l’employeur de prévoir qu’un licenciement collectif s’imposerait en juin 2020 puisqu’une personne raisonnable ne pouvait anticiper qu’une crise d’une telle ampleur surviendrait et qu’elle durerait aussi longtemps. L’employeur était donc de bonne foi lorsqu’il a pris sa décision. Dans ce contexte, le Tribunal en vient à la conclusion que l’employeur était exempté de verser aux salariés l’indemnité de licenciement collectif prévue à la LNT.

Commentaires

Il ressort de cette décision que la pandémie peut effectivement, dans certaines circonstances, relever l’employeur de son obligation de verser l’indemnité de licenciement collectif s’il a été empêché de respecter les délais prescrits par la loi pour la transmission de l’avis de licenciement collectif.

L’appréciation quant aux moyens de défense fondés sur la présence d’un cas de force majeure ou d’un événement imprévu au sens de la LNT demeure évidemment propre aux circonstances particulières de chaque cas. Ainsi, ce n’est pas parce que le tribunal a retenu que la pandémie liée à la COVID-19 ne pouvait s’apparenter à une situation de force majeure dans la présente affaire, qu’elle ne pourrait être qualifiée autrement dans d’autres situations, selon la preuve présentée. En effet, d’autres décideurs en sont venus à des conclusions différentes eu égard à cette notion de « force majeure » dans des situations similaires.

Par exemple, dans l’affaire Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac et Fairmont Le Château Frontenac[7], l’employeur prétendait ne pas avoir été en mesure d’aviser ses salariés de l’annulation de leur quart de travail au moins 48 heures à l’avance (tel qu’exigé par la convention) en raison d’un cas de force majeure liée à la pandémie, soit la fermeture de ses restaurants par décret gouvernemental. 

Dans cette affaire, l’arbitre Dominique-Anne Roy a rejeté le grief au motif que l’adoption par le gouvernement d’un décret forçant la fermeture des restaurants constituait effectivement un événement satisfaisant aux conditions de « force majeure » ayant empêché l’employeur d’exécuter en totalité son obligation conventionnelle, n’ayant d’autre choix que de fermer ses restaurants. L’avis prévu n’a donc pas pu être donné dans le délai prescrit, et ce, pour des raisons indépendantes de la volonté de l’employeur.

L’arbitre Pierre Laplante en est arrivé à une conclusion semblable dans l’affaire SCFP, sections locales 2229 et 2301 et Ville de Blainville[8], décision faisant par ailleurs l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

Nous verrons certainement l’évolution de la jurisprudence à cet égard au cours des prochains mois.

Notons finalement que la sentence arbitrale que nous venons de résumer fait présentement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire. Nous resterons à l’affût et vous tiendrons informés de tout développement.


[1]
2022 QCTA 347. Pourvoi en contrôle judiciaire, 2022-08-09 (C.S.) 50017121966223 ;

[2] Dans le cadre du présent article, nous ne traiterons pas de la portion de la décision concernant le second grief logé par le syndicat qui contestait la décision de l’employeur d’exiger des salariés rappelés au travail, alors que la période de préavis individuel n’était terminée, qu’ils remboursent une partie du préavis individuel reçu. Ce second grief fut rejeté par l’arbitre sur la base de l’enrichissement injustifié ;

[3] Voir les articles 84.0.4 et 84.0.13 LNT ;

[4] Voir l’article 84.0.13 (3LNT ;

[5] L’article 1470 du Code civil du Québec définit la notion de « force majeure » comme étant un événement imprévisible et irrésistible ;

[6] Cette exception ne se retrouve pas dans la LNT au niveau du préavis individuel ;

[7] 2021 CanLII 121101 ;

[8] 2020 QCTA 644.