La dernière décennie a été marquée par l’essor de l’hyperconnectivité, qui affecte un grand nombre de personnes et qui se caractérise par une utilisation intensive des technologies numériques, souvent au détriment du bien-être et du repos. De même, depuis la pandémie, le télétravail fait maintenant partie intégrante de la vie professionnelle de nombreux employés. Incidemment, ces mutations ont révélé une problématique majeure : la difficulté grandissante pour les travailleurs de décrocher, ou de se « déconnecter » de leur emploi en dehors des heures de travail.

Dans ce contexte, le droit à la déconnexion est devenu un sujet incontournable dans les discussions portant sur la santé mentale, la productivité et la conciliation travail-vie personnelle. Malgré un intérêt manifeste au sein des débats publics, les gouvernements semblent avoir été peu enclins à légiférer quant à l’exercice du droit à la déconnexion. À ce jour, seule la province de l’Ontario et le gouvernement fédéral ont mis en place des obligations en cette matière. Voici donc un bref survol de l’état actuel du droit canadien sur la question.

Le cadre juridique applicable en Ontario 

En décembre 2021, le législateur ontarien a modifié la Loi sur les normes d’emploi[1] (la « LNE ») afin d’y intégrer de nouvelles dispositions visant la déconnexion du travail.

L’article 21.1.1 de la LNE définit la « déconnexion du travail » comme suit :

« S’entend du fait de ne pas effectuer des communications liées au travail, notamment les courriels, les appels téléphoniques, les appels vidéo ou l’envoi ou la lecture d’autres messages, de manière à être en inactivité. »

Ce nouveau régime impose à tout employeur comptant 25 employés ou plus l’obligation de mettre en place une politique écrite sur la déconnexion du travail. Cette politique doit être transmise à tous les employés[2]. La politique s’applique à l’ensemble des employés, y compris les cadres, dirigeants et actionnaires lorsqu’ils sont considérés comme des employés au sens de la LNE.

Toutefois, la LNE ne précise pas le contenu minimal requis devant être inclus dans cette politique de déconnexion. En l’absence de règlement d’application, le contenu d’une telle politique demeure à la discrétion de chaque employeur. Aucune sanction spécifique n’est prévue en cas de non-respect des politiques adoptées.

Le cadre juridique applicable au niveau fédéral 

En juin 2024, le gouvernement fédéral a franchi une étape supplémentaire avec l’adoption du projet de loi C‑69[3], qui modifie le Code canadien du travail[4] (le « Code ») pour introduire un droit à la déconnexion dans les secteurs de compétence fédérale. 

Ces nouvelles dispositions, qui devraient en principe entrer en vigueur en 2025 à une date indéterminée, imposent aux employeurs la mise en place d’une politique formelle sur la déconnexion. Les employeurs disposeront d’une année après la date d’entrée en vigueur pour se conformer aux nouvelles dispositions liées au droit à la déconnexion et élaborer une politique à cet égard. 

Contrairement au modèle ontarien, la législation fédérale prévoit certains éléments que devra contenir la politique, par exemple : 

  • une règle générale concernant les communications liées au travail en dehors des heures de travail prévues à l’horaire, notamment concernant les attentes de l’employeur et toute possibilité pour les employés de se déconnecter des moyens de communication ;
  • toute exception à la règle générale et sa raison d’être ;
  • la date de prise d’effet de la politique ;
  • tout autre élément prévu par règlement[5].

Lors de l’élaboration ou de la mise à jour de cette politique, l’employeur devra consulter les employés ou le syndicat, en leur accordant au moins 90 jours pour formuler leurs commentaires[6]. La politique pourra d’ailleurs exclure de son champ d’application les cadres et administrateurs[7]. L’employeur devra remettre une copie de cette politique à tous les employés visés[8].

L’article 177.61 du Code interdira à l’employeur d’imposer des sanctions ou des mesures disciplinaires ou d’exercer des mesures de représailles contre un employé pour l’un des motifs suivants :

  • il demande à l’employeur de se conformer à la politique ;
  • il demande des renseignements au sujet des droits que lui confère la politique ;
  • il dépose une plainte en vertu de la politique ;
  • il exerce ou tente d’exercer un droit que lui confère la politique.

Par ailleurs, le Code offrira des protections supplémentaires aux employés en cas de manquement de l’employeur à ses obligations.

L’absence de cadre juridique applicable dans les autres provinces

À l’exception de l’Ontario, aucune autre province canadienne n’a, à ce jour, légiféré sur la question du droit à la déconnexion. En Colombie-Britannique, le ministère du Travail a indiqué en 2022 qu’aucune initiative législative n’était envisagée. De son côté, le Québec a rejeté à plusieurs reprises des projets de loi déposés par les partis d’opposition entre 2018 et 2021. Le gouvernement actuel considère que la législation en place, notamment la Loi sur les normes du travail[9], encadre déjà les questions d’horaires, de repos et de rémunération. Pour le moment, il privilégie une approche fondée sur la concertation entre employeurs et salariés, sans intervention législative directe.

Enjeux pratiques pour les employeurs 

Les employeurs ontariens et fédéraux doivent non seulement se conformer aux exigences légales qui leur sont applicables, mais également adapter leur culture organisationnelle pour favoriser un climat respectueux de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il est à prévoir que la législation fédérale, une fois mise en œuvre, servira de référence et pourrait susciter un effet d’entraînement dans d’autres provinces canadiennes.

Conclusion

Le droit à la déconnexion représente un jalon important dans l’évolution contemporaine du droit du travail. Les développements législatifs en Ontario et au niveau fédéral témoignent d’un mouvement vers une meilleure prise en compte des enjeux liés à la charge mentale, à la santé psychologique et à la gestion du temps de travail. Il conviendra de suivre attentivement l’entrée en vigueur des dispositions fédérales, ainsi que les éventuelles initiatives provinciales qui pourraient en découler. 


[1] L.O. 2000, chap. 41.

[2] Article 21.1.2 LNE.

[3] Loi n° 1 d’exécution du budget de 2024, Projet de loi no 69 (adopté – 20 juin 2024), 1re sess., 44e légis.

[4] L.R.C. (1985), ch. L‑2.

[5] Article 177.2 (1) du Code (non en vigueur).

[6] Article 177.4 du Code (non en vigueur).

[7] Article 172.2 (2) du Code (non en vigueur).

[8] Article 177.6 du Code (non en vigueur).

[9] RLRQ, c. N‑1.1.