Le 6 octobre 2021, la Loi modernisant le régime de santé et sécurité du travail[1] (la « Loi C-27 »), modifiant notamment la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (« LATMP »), était sanctionnée. Ces modifications visent à accroitre la prévention des risques de lésions professionnelles dans les milieux de travail, à simplifier l’accès au régime d’indemnisation en cas de lésion professionnelle, à offrir un soutien accru aux travailleurs ayant subi une lésion professionnelle ainsi qu’à leurs employeurs, et à améliorer certaines modalités de fonctionnement du régime.
Ces modifications font l’objet d’une mise en application progressive depuis le 6 octobre 2021, et qui s’échelonnera jusqu’au 6 octobre 2025. Le 6 octobre 2022, une série de mesures prévues par la Loi C-27 entrera en vigueur.
Voici un aperçu des principales modifications qui auront un impact sur les employeurs et qui prendront effet à compter du 6 octobre 2022.
1. L’encadrement de la procédure d’assignation temporaire
a) L’utilisation du formulaire prescrit par la CNESST
Désormais, l’employeur du travailleur ayant subi une lésion professionnelle devra utiliser le formulaire prescrit par la CNESST pour l’assignation temporaire. Le médecin traitant du travailleur devra indiquer les limitations fonctionnelles temporaires du travailleur et approuver l’assignation proposée dans ce formulaire pour que l’employeur puisse procéder à l’assignation temporaire du travailleur. Peu importe si le médecin traitant autorise ou non l’assignation temporaire, l’employeur aura l’obligation de transmettre ce formulaire d’assignation temporaire à la CNESST.
Notons qu’avant le 6 octobre 2022, l’employeur avait le choix d’utiliser un formulaire « maison » pour proposer une assignation temporaire et l’opinion du médecin traitant du travailleur pouvait y être consignée. De plus, le médecin traitant du travailleur n’avait pas l’obligation d’identifier les limitations fonctionnelles temporaires du travailleur dans le cadre du processus d’assignation temporaire, mais uniquement d’attester que le travailleur était raisonnablement en mesure d’accomplir l’assignation temporaire proposée, que celle-ci ne comportait pas de danger pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur et était favorable à la réadaptation de ce dernier.
À compter du 6 octobre 2022, l’employeur qui offre à un travailleur une assignation temporaire comportant un nombre d’heures inférieur à celui de son emploi habituel doit indiquer sur le formulaire d’assignation temporaire laquelle des deux options suivantes il choisit :
b) Les modalités concernant le versement du salaire
- Verser au travailleur 100% de son salaire et des avantages liés à son emploi pré-lésionnel et se faire rembourser par la CNESST le montant payé pour les heures non travaillées, jusqu’à concurrence du montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel le travailleur aurait eu droit sans cette assignation. Si l’employeur retient cette option, il devra faire parvenir à la CNESST la déclaration des heures travaillées par le travailleur dans les 90 jours de la fin de la période de paie pour se faire rembourser.
- Verser au travailleur uniquement le salaire pour les heures travaillées et laisser la CNESST verser au travailleur la différence entre le montant de l’indemnité de remplacement de revenu auquel le travailleur aurait eu droit sans son assignation temporaire et le montant que l’employeur lui verse.
L’employeur n’aura le droit, pour chaque assignation temporaire, de modifier qu’une seule fois l’option choisie.
Il importe de noter que l’employeur ayant des travailleurs en assignation temporaire en date du 6 octobre 2022 devra, dans les 90 jours de cette date, indiquer à la CNESST l’option qu’il choisit.
Soulignons qu’avant l’entrée en vigueur de ces modifications, la LATMP ne prévoyait pas de modalités particulières quant au versement du salaire au travailleur en assignation temporaire.
2. La procédure d’évaluation médicale
Désormais, le membre du Bureau d’évaluation médicale (le « BEM ») aura une nouvelle obligation lorsqu’il se prononcera sur la date de consolidation de la lésion : il devra aussi se prononcer sur l’existence et le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur et sur l’existence de limitations fonctionnelles, lorsque cette atteinte et ces limitations n’ont pas été déterminées. Notons que le membre du BEM n’aura toutefois pas à se prononcer sur de tels sujets si des raisons d’ordre médicales l’en empêchent. De telles raisons devront être exposées par le membre du BEM dans son avis, le cas échéant.
De plus, à compter du 6 octobre 2022, la LATMP prévoira explicitement que le membre du BEM peut se prononcer sur la date de consolidation s’il est d’avis que la lésion ne requiert plus de soins et traitements. Le membre du BEM possédait déjà un certain pouvoir discrétionnaire à cet effet : il pouvait se prononcer sur certains sujets médicaux sur lesquels le médecin traitant du travailleur et l’expert désigné par l’employeur ou par la CNESST ne s’étaient pas prononcés « s’il l’estimait approprié »[3].
3. L’encadrement de l’exercice du droit de retour au travail et de l’obligation d’accommodement
Depuis que la Cour suprême a rendu l’arrêt Caron[4] en 2018, il est acquis que l’employeur, dans un contexte de mise en œuvre du processus de réadaptation prévu par la LATMP, a une obligation d’accommodement raisonnable au sens de la Charte des droits et libertés de la personne[5] envers son travailleur, et ce, même après l’expiration du droit au retour au travail de ce dernier.
À compter du 6 octobre 2022, la LATMP encadrera davantage cette procédure d’accommodement raisonnable en octroyant notamment plus de pouvoirs à la CNESST à cet effet. Entre autres, la CNESST bénéficiera de pouvoirs élargis dans le cadre du processus de détermination d’un emploi convenable, et ce, peu importe l’expiration du délai du droit au retour au travail du travailleur. En effet, alors qu’auparavant la CNESST demandait à l’employeur s’il avait un emploi convenable disponible, la CNESST pourra désormais déterminer cet emploi convenable et les mesures d’accommodement à mettre en place, avec la collaboration de l’employeur et du travailleur, sous réserve de la démonstration d’une contrainte excessive par l’employeur.
Enfin, la CNESST aura, dès le 6 octobre 2022, le pouvoir d’imposer à l’employeur une sanction administrative pécuniaire en cas de défaut de la part de ce dernier dans le cadre de ce processus. Cette sanction sera équivalente au coût des prestations auxquelles aurait pu avoir droit le travailleur durant la période de défaut de l’employeur. Toutefois, cette sanction pécuniaire ne pourra être supérieure au montant annuel de l’indemnité de remplacement du revenu auquel le travailleur a droit.
4. Les mesures de réadaptation avant la consolidation de la lésion
Jusqu’alors, la LATMP ne prévoyait pas la mise en place de mesures de réadaptation par la CNESST à l’égard des travailleurs dont la lésion professionnelle n’était pas encore consolidée. En vertu de la LATMP, de telles mesures de réadaptation ne pouvaient être accordées par la CNESST que lorsque la lésion était consolidée.
À compter du 6 octobre 2022, la CNESST pourra accorder au travailleur des mesures de réadaptation afin de favoriser son retour au travail, et ce, même avant que sa lésion professionnelle ne soit consolidée. Ces mesures devront toutefois avoir pour objectif de permettre une reprise graduelle des tâches du travailleur.
Désormais, la CNESST pourra également, avant la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, lui accorder des mesures de réadaptation dans un but autre que de favoriser sa réinsertion professionnelle. Ces mesures de réadaptation devront elles aussi être soumises au médecin traitant du travailleur pour approbation si elles ont un effet sur la santé de ce dernier.
Finalement, il sera dorénavant expressément prévu que les mesures de réadaptation accordées au travailleur par la CNESST avant la consolidation de sa lésion pourront être maintenues au-delà de la date de consolidation de la lésion.
[1] Anciennement le Projet de loi n°59 ;
[2] RLRQ, c. A-3.001.
[3] À cet effet, voir le libellé du deuxième alinéa de l’article 221 LATMP en vigueur jusqu’au 5 octobre 2022.
[4] Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3
[5] RLRQ, c. C-12