Dans cette affaire, le tribunal d’arbitrage devait analyser une réclamation en dommages-intérêts déposée par l’employeur alléguant avoir été victime d’un abus de droit de la part du syndicat.

Les faits

En décembre 2013, trois (3) employés de l’employeur (les « Plaignants ») sont suspendus administrativement et ce, en raison de moyens de pression exercés dans le cadre du renouvellement de leur convention collective. L’employeur et le syndicat se rencontrent alors afin de régler ce litige et par le fait même, pour donner la chance aux discussions, ils conviennent de suspendre les délais prévus à la convention collective pour l’imposition de mesures disciplinaires aux Plaignants.

Puisque l’employeur et le syndicat ne réussissent finalement pas à s’entendre, les Plaignants sont rencontrés par l’employeur, qui décide alors d’imposer une suspension disciplinaire à chacun d’eux. Les Plaignants contestent ces suspensions disciplinaires en déposant des griefs. 

La première journée d’audience pour ces griefs est fixée, puis reportée ; s’en suit une séance de médiation infructueuse entre les parties, ainsi qu’une absence due au congé de maternité d’une représentante du syndicat. Cela fait en sorte que l’audience a uniquement lieu au printemps 2018, plus de quatre (4) ans après les incidents reprochés aux Plaignants.

Le jour de l’audience, pour la toute première fois et sans aucune annonce préalable, le syndicat invoque un moyen préliminaire afin de faire rejeter les mesures disciplinaires imposées, sous prétexte qu’elles seraient prescrites car remises trop tardivement.

L’employeur, pris par surprise, rétorque en affirmant que ce moyen préliminaire est mal fondé puisqu’un accord est intervenu à l’époque, entre lui et le syndicat, pour justement suspendre les délais d’imposition des mesures disciplinaires ! Le syndicat nie alors l’existence de quelconque accord et demeure camper sur ses positions. 

Dans ces circonstances, l’employeur annonce qu’il déposera un grief patronal et qu’il réclamera au syndicat des dommages-intérêts pour compenser le préjudice indu qu’il subit en raison de ses agissements abusifs.

Le 10 janvier 2019, l’employeur transmet à l’arbitre et au syndicat une copie de cet accord suspendant les délais pour l’imposition des mesures disciplinaires aux Plaignants. 

L’arbitre prend donc le dossier en délibéré relativement à l’objection préliminaire du syndicat.

Or, quelques semaines plus tard, pendant le délibéré de l’arbitre, le syndicat retire son moyen préliminaire, affirmant avoir procédé dans l’intervalle à des « vérifications » plus rigoureuses. 

Et quant au grief patronal, son étude par l’arbitre est prévue le 16 mars 2021, en même temps que l’audience sur le fond des griefs contestant les mesures disciplinaires imposées ; nous sommes alors près de trois (3) ans après le fameux moyen préliminaire (retiré ensuite par le syndicat…). Le matin même de cette audience, le tribunal apprend que les parties ont réglé les trois (3) griefs des Plaignants ; il ne reste plus que le grief patronal à trancher, pour lequel aucune entente n’est intervenue, maintenant le seul pertinent au litige actuel.

Par ce grief, l’employeur réclame au syndicat :

1) les frais qu’il a engendrés relativement à la préparation des arbitrages prévus le 2 mai 2018 et le 10 janvier 2019, incluant les honoraires d’avocats, les frais et honoraires de l’arbitre, de même que la rémunération et les dépenses encourues par les témoins assignés à comparaître ;

2) une somme de 5000$ à titre de dommages exemplaires.

La décision

Dans sa décision, l’arbitre conclut que le syndicat a abusé de son droit d’ester en justice.

D’abord, il reproche au syndicat le fait d’avoir soulevé un moyen préliminaire sans annonce préalable d’aucune sorte et ce, surtout que ce moyen visait à définitivement mettre un terme à l’arbitrage. L’arbitre retient que cette action a eu pour effet de repousser de manière importante l’administration de la preuve sur le fond et d’imposer la tenue d’une audience portant sur un moyen préliminaire manifestement mal fondé. 

Puis, l’arbitre rappelle que c’est uniquement après que l’audience sur le moyen préliminaire ait été tenue, et prise en délibérée pendant quelques semaines, que le syndicat a simplement annoncé le retrait son moyen préliminaire. 

Selon l’arbitre, le comportement du syndicat était téméraire et indicatif d’un abus de droit donnant à l’employeur le droit de réclamer des dommages :

« [49] En l’espèce, il s’agirait d’un abus du droit d’ester en justice, c’est-à-dire commis durant l’instance. Le maintien d’un tel reproche exige la preuve d’un geste posé de mauvaise foi ou de façon téméraire. 
[50] Selon la preuve, c’est bien là ce qui s’est passé en l’espèce, une action téméraire. 
(…)
[62] Il s’agit là, pour paraphraser la Cour d’appel a contrario, d’un cas où, en l’absence de toute cause raisonnable et probable, une partie négligente et imprudente cause en cours d’instance un préjudice à l’autre en invoquant tête baissée des droits qu’un minimum de diligence de sa part lui aurait révélé qu’elle n’avait pas. La bonne foi à laquelle s’engagent les parties signataires d’une convention collective n’est pas compatible avec pareil manque de rigueur. »
(Nos caractères gras)

L’arbitre ordonne ainsi au syndicat à rembourser à l’employeur :

  • la totalité des frais légaux de l’audience du 10 janvier 2019, ainsi que les frais de l’arbitre, tous encourus inutilement ;
  • la moitié des frais juridiques encourus par l’employeur pour la préparation et la tenue de l’audience du 2 mai 2018, ainsi que la moitié des frais d’arbitrage encourus à cette occasion ;
  • les frais de préparation des témoins, ainsi que les coûts associés à leur déplacement aux dépenses qu’ils ont dû engager ; et
  • tous les frais liés à l’arbitrage du grief patronal.

L’arbitre rejette toutefois la réclamation de l’employeur à titre de dommages exemplaires car, selon lui, il n’y a pas de preuve à l’effet que le syndicat aurait agi de mauvaise foi.

Régie intermunicipale de police Richelieu Saint-Laurent et Fraternité des policiers et policières Richelieu Saint-Laurent (grief patronal), 2021 QCTA 319, arbitre S. Brault.

À retenir

Nous retenons donc de cette affaire qu’une conduite insouciante, paresseuse ou téméraire d’une partie lors de l’instruction d’un grief, sans toutefois qu’elle ne soit de mauvaise foi, pourra être qualifiée d’abus d’ester en justice, et faire en sorte que des dommages-intérêts puissent être réclamés par la partie lésée en raison d’une semblable conduite.