1. Electrical Safety Authority and Power Workers’ Union, Ontario, 11 novembre 2021, John Stout, arbitre.

Le 11 novembre 2021, un arbitre de l’Ontario s’est prononcé sur la validité de la politique de vaccination obligatoire contre la COVID-19 exigée à tous les employés d’un employeur (Electric Safety Authority).

Les faits

L’employeur, Electric Safety Authority, est une organisation mandatée par le gouvernement de l’Ontario qui veille à la conformité et à la sécurité en matière d’électricité pour le public.

En septembre 2021, l’employeur implante une politique prévoyant le dépistage régulier de ses employés non adéquatement vaccinés ou dont le statut vaccinal n’est pas connu par l’employeur.

Quelques semaines plus tard, dans l’optique de pouvoir ramener sur place ses employés en janvier 2022, l’employeur modifie sa politique et implante une exigence de vaccination, laquelle prévoit que le défaut d’être adéquatement vacciné contre la COVID-19 peut être sanctionné par des mesures disciplinaires, y incluant le congédiement. 

La politique s’applique à tous les employés, autant aux employés de bureau qu’aux employés qui sont appelés à travailler à l’extérieur chez différents clients, comme les inspecteurs.

En l’espèce, la convention collective est muette au sujet de la vaccination et l’employeur n’a jamais exigé la vaccination d’un employé à titre de condition d’emploi dans le passé. De plus, aucune législation de l’Ontario ne requiert qu’un employé de l’employeur ne soit adéquatement vacciné. 

La vaste majorité des employés de l’employeur sont vaccinés (à 88,4%) et ont communiqué volontairement leur statut vaccinal à l’employeur. Seulement 14 employés sur 415 n’ont pas dévoilé leur statut vaccinal. 

De plus, depuis le mois de mars 2020, seulement 7 employés de l’employeur ont été infectés à la COVID-19, dont seulement 2 qui l’auraient potentiellement été en lien avec le travail, et ce, avant que le vaccin ne soit disponible. 

La décision

D’abord, l’arbitre énonce les principes applicables lorsqu’une politique ou une règle de l’employeur affecte les droits individuels des employés. La politique ou la règle doit rencontrer les conditions suivantes :

  • Ne doit pas être incohérente ou en contravention avec la convention collective
  • Ne doit pas être déraisonnable
  • Doit être claire et non équivoque
  • Les employés doivent en être informés préalablement à sa prise d’effet
  • Les employés visés doivent être informés préalablement des conséquences possibles en cas de défaut de respecter la politique ou la règle 
  • La règle implantée par l’employeur doit être appliquée de façon constante dès qu’elle est effective et pendant qu’elle est en vigueur.

L’arbitre indique que ces principes jurisprudentiels sont appliqués dans une optique de balance des intérêts ou des inconvénients des parties afin d’apprécier le caractère raisonnable ou déraisonnable de la politique de l’employeur. De plus, le contexte de chaque affaire est extrêmement important dans le cadre de cette analyse. 

En effet, selon lui, dans certaines situations où le risque pour la santé et la sécurité est élevé, l’employeur a une plus grande marge de manœuvre pour encadrer les droits individuels de ses employés, comme c’est le cas par exemple en ce qui concerne les premiers répondants dans le milieu de la santé. 

De plus, selon le Tribunal, l’employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour protéger l’employé en vertu de l’Occupational Health and Safety Act (l’équivalent de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail au Québec).

Dans cette affaire, il n’y a pas de changement particulier de situation chez l’employeur depuis l’implantation de sa première politique en septembre 2021, mis à part l’objectif de l’employeur de ramener ses employés sur les lieux du travail en janvier 2022. Bien que légitime comme souhait, c’est insuffisant, selon l’arbitre, pour justifier une vaccination obligatoire à tous les employés.

Pour l’arbitre, le dépistage est une alternative et un outil de protection raisonnable, bien que moins fiable que la vaccination. Dans cette décision, l’employeur n’a pas démontré au tribunal de difficultés particulières à protéger ses employés en utilisant à la fois la vaccination et le système de dépistage régulier. Également, il n’y a pas de preuve de risques ou de dangers particuliers pour la santé et la sécurité des employés, ni de preuve substantielle de perturbation de ses opérations.

Il en arrive à la conclusion que la politique de vaccination obligatoire de l’employeur est en grande partie jugée déraisonnable.

En effet, l’imposition de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement d’un employé en raison de son défaut d’être complètement vacciné alors que cela n’était pas une exigence d’emploi initialement et que des mesures alternatives sont possibles est injuste et déraisonnable selon l’arbitre. Bien que l’employeur ait un droit de gérance, en l’absence de législation ou de clause précise à la convention collective, un employeur ne peut mettre fin à l’emploi ou discipliner un employé en raison de son défaut d’être adéquatement vacciné, à moins que les principes jurisprudentiels énoncés précédemment ne soient rencontrés et que la mesure soit un exercice raisonnable des droits de gestion de l’employeur. Dans le contexte afférent à cette décision, l’arbitre détermine également qu’il est déraisonnable de mettre les employés en congé administratif sans rémunération pour le défaut d’être vacciné complètement.

Toutefois, l’arbitre est d’avis qu’il est raisonnable de demander aux employés de confirmer leur statut vaccinal pour autant que le caractère confidentiel de leurs informations médicales soit préservé et que cette information ne soit partagée qu’avec le consentement préalable de l’employé. À cet effet, l’employé peut donner son consentement général à la communication de son statut vaccinal pour l’accès à des tiers. Il peut également donner un consentement spécifique ou au cas par cas.

Or, dans les circonstances actuelles de la COVID-19, l’arbitre rappelle que les employés doivent être conscients que leur statut vaccinal peut être requis et qu’il ne sera pas possible parfois de protéger complètement et en tout temps son caractère confidentiel. 

2. UFCW, Canada Local 333 and Paragon Protection Ltd (Vaccination Policy Grievance), 9 novembre, F.R Von Veh, arbitre

A l’opposé, dans l’affaire UFCW, Canada Local 333 and Paragon Protection Ltd (Vaccination Policy Grievance), il a été jugé que le contexte du milieu de travail permettait de justifier la politique de vaccination obligatoire de l’employeur contre la COVID-19

Les circonstances de cette décision sont très différentes de celles résumées ci-haut, puisqu’il est question d’une entreprise où les employés, des gardes de sécurité, accomplissent l’entièreté de leur travail à l’extérieur du site de l’employeur chez des tiers clients. La politique a donc été mise en place dans l’optique de respecter les exigences des clients de l’employeur en matière de vaccination, lesquels détiennent presque tous une politique de vaccination obligatoire à l’égard de leurs employés ainsi qu’à l’égard de leurs sous-traitants. 

De plus, une clause de la convention collective prévoyait déjà, préalablement à la pandémie, que les employés reçoivent la vaccination spécifique exigée au lieu de travail qui leurs sont assignés. Cette distinction est assez importante si l’on compare avec l’affaire Electrical Safety Security.

Dans cette même décision, l’arbitre a donc tranché en indiquant que la politique de vaccination obligatoire ne violait pas le Code des droits de la personne de l’Ontario en matière de discrimination, et qu’elle se voulait conforme à la législation applicable en matière de santé et de sécurité au travail, notamment en ce qui a trait à l’obligation de l’employeur de protéger la santé et la sécurité de ses employés. 

L’arbitre est d’avis que la politique de vaccination obligatoire de l’employeur contre la COVID-19, ainsi que les mécanismes d’exemptions qui y sont contenus, notamment en matière de conditions de santé ou de croyances religieuses, sont justifiés, tant en vertu du contexte actuel qu’en vertu de la clause déjà existante à la convention collective en matière de vaccination. 

À retenir

Ces deux décisions de l’Ontario sont importantes comme elles sont les premières à se prononcer sur la validité de la vaccination obligatoire en milieu de travail dans le contexte de la pandémie liée à la COVID-19

La vaccination obligatoire ne sera pas justifiée de façon automatique : l’employeur a un lourd fardeau à rencontrer afin de démontrer la raisonnabilité de sa demande, et seules des circonstances précises pourront justifier une telle mesure. 

Notons par ailleurs qu’au Québec, à l’intérieur de notre Charte des droits et libertés de la personne figure le droit à l’intégrité de sa personne (article 1). Le droit à l’intégrité de la personne comme droit protégé ne figure pas au Code ontarien des droits de la personne, lequel protège uniquement contre la discrimination fondée sur certains motifs prohibés. Il est donc possible de penser qu’au Québec, le fardeau de démontrer la raisonnabilité d’une politique de vaccination obligatoire puisse être plus difficile à rencontrer.

Rappelons également qu’en date de ce jour, au Québec, même dans les établissements de santé, le Gouvernement n’a pas imposé la vaccination obligatoire.

Dans tous les cas, advenant la mise en place d’une politique portant sur la vaccination en milieu de travail, le contexte et l’environnement seront importants à prendre en considération et à analyser avant d’imposer une telle vaccination sans mesures alternatives. 

À ce jour, nous ne sommes pas au courant de décisions rendues en cette matière au Québec. Nous vous tiendrons bien sûr informés lorsque ce sera le cas.