Le contexte
Dans cette décision, le Tribunal était saisi de deux griefs qui soulevaient la question du tatouage et du piercing visibles au travail. Le Tribunal devait déterminer, à la lumière du droit à la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée prévus à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte »), si l’Employeur, un fournisseur de services funéraires, pouvait exiger que les tatouages et les piercings apparents soient dissimulés ou retirés par les employés qui ont un contact régulier avec la clientèle.
L’employeur demandait à ses employés en contact avec la clientèle de camoufler, à l’aide de pansements ou de gants, leurs piercings ou tatouages.
Il importe de souligner qu’il n’était pas question ici de tatouage ou de piercings invasifs, offensants ou qui incitent à la violence.
La décision
D’entrée de jeu, l’Employeur reconnaît que les restrictions découlant de la politique sur les tatouages et les piercings portent atteinte à la vie privée, ainsi qu’à la liberté d’expression de ses salariés. Selon lui, cette atteinte est toutefois l’expression légitime de son droit de direction et elle est nécessaire à la saine administration de son entreprise.
Ne devant par conséquent statuer que sur la justification de cette atteinte avouée, le Tribunal rappelle d’abord les conditions applicables afin de déterminer si une atteinte aux droits fondamentaux est permise :
- L’objectif poursuivi est légitime, sérieux et important ;
- La restriction a un lien rationnel avec les objectifs ;
- L’atteinte est minimale ;
- Il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables de l’atteinte et les objectifs poursuivis.
Selon l’Employeur, l’obligation de couvrir les tatouages et les piercings visibles lorsqu’un salarié est en contact régulier avec la clientèle constitue une atteinte justifiée au droit à la liberté d’expression et au respect de la vie privée compte tenu du lien rationnel avec les objectifs énoncés. Il souhaite créer un lieu sobre, neutre et solennel pour accueillir et répondre à sa clientèle issue de diverses communautés religieuses et culturelles.
De son côté, le Syndicat ne conteste pas que la politique l’Employeur puisse énoncer des objectifs légitimes, sérieux et importants. Il allègue cependant qu’il n’y a pas de lien rationnel entre les restrictions imposées par l’Employeur aux salariés et les objectifs poursuivis par ce dernier.
L’Employeur impose des restrictions quant à la visibilité d’un tatouage ou d’un piercing car il désire ne pas distraire, déranger ou rendre inconfortables les clients pendant qu’ils rendent hommage à un proche décédé. La preuve repose principalement sur le témoignage du directeur des opérations du Québec qui confirme que la tenue vestimentaire conservatrice est une norme découlant de cette industrie qui est encore enseignée dans les cours de thanatologie.
L’Employeur n’a par ailleurs présenté aucune preuve de témoignages de clients, ni de sondages ou autre preuve semblable relativement aux sentiments du public. De plus, il n’y a jamais eu de plaintes formulées contre les plaignants.
Selon le Tribunal, bien que cet objectif puisse être qualifié de légitime et sérieux, il n’y a toutefois pas de preuve permettant de conclure qu’il y a un lien rationnel entre l’exposition à un tatouage sur la main ou un piercing au nez et la survenance d’un malaise chez la clientèle.
Le Tribunal explique ensuite que les tatouages, ainsi que les piercings, sont aujourd’hui des formes d’expression répandues dans toutes les couches de la société. Ainsi, il aurait fallu une preuve directe et claire pour convaincre le Tribunal que cette façon de s’exprimer génère une appréhension chez la clientèle de l’Employeur. Une simple impression ou une opinion basée sur une perception, qui semble émaner d’une autre époque, ne suffit pas.
Ayant déterminé une absence de lien rationnel avec les objectifs de l’Employeur, le Tribunal ne poursuit pas son analyse et conclut en expliquant que les règles sur la tenue vestimentaire et l’image corporelle doivent évoluer avec le temps et s’adapter au contexte actuel dans le respect des droits et libertés des salariés.
Syndicat des travailleurs des services funéraires Dignité c. Collins Clarke (CSI), une division de Service Corporation Internationale (Canada) (Réseau Dignité), 2021 QCTA 354 (Décideur : Me Amal Garzouzi)