Les faits
En janvier 2012, un technicien en électronique comptant une vingtaine d’années d’expérience pose sa candidature à la Société des Transports de Montréal (STM) pour occuper un poste de réparateur d’unités composantes électroniques.
Les exigences physiques requises consistent à reconnaître le code de couleurs régissant le domaine de l’électronique et à pouvoir exercer une préhension fine dans la manipulation de circuits électroniques. Le travail requiert également des interventions ponctuelles dans des milieux comportant un haut voltage électrique.
La STM allègue qu’il est primordial pour la sécurité des usagers et des employés que ceux-ci soient dans un état constant de vigilance.
Après avoir déposé sa candidature, le plaignant se soumet à un processus préembauche comportant un examen théorique, une entrevue, un questionnaire médical ainsi qu’un examen médical.
Par ailleurs, le questionnaire lui demande également de fournir son âge, sa date de naissance, son numéro d’assurance sociale et son numéro de carte d’assurance-maladie.
Au cours du processus d’embauche, le candidat doit compléter un questionnaire médical contenant une mise en garde selon laquelle « les procédures d’embauche ne pourront être satisfaites que si le candidat a répondu adéquatement à toutes les questions du formulaire ».
Ce questionnaire médical comporte une série de questions, incluant notamment mais sans s’y limiter les suivantes :
- Êtes-vous traité pour de l’angine de poitrine ou un infarctus ?
- Présentez-vous un taux de cholestérol élevé ?
- Souffrez-vous, entre autres, de l’une des conditions médicales suivantes : haute pression, asthme, allergie, tuberculose, diabète, épilepsie, troubles émotifs, la dépendance, cancer, arthrite, etc. incluant plusieurs autres maladies affectant ses systèmes.
Dans l’hypothèse où le plaignant répondait à l’une ou l’autre des questions ci-dessus par l’affirmative, il était prévu qu’un intervenant puisse ajouter certaines précisions après avoir questionné le candidat.
Or, après avoir répondu au questionnaire médical préembauche, le plaignant rencontre une infirmière de la STM, laquelle révise avec lui ses réponses. Au cours de ce rendez-vous, il se voit également contraint à subir un test visuel, un test auditif, un test d’urine relatif au dépistage de drogues, ainsi qu’une piqûre à l’index pour vérifier son hypoglycémie. Sa tension artérielle est également mesurée à quelques reprises.
Suite à ce premier rendez-vous, l’infirmière communique avec le plaignant afin d’obtenir diverses informations médicales complémentaires sur son état psychologique, à savoir ses antécédents médicaux, un rapport récent concernant son fonctionnement, sa médication et sa capacité de travail. Elle lui pose également des questions sur son diabète, bien que le candidat vive avec cette maladie depuis une vingtaine d’années. Elle requiert également une lecture de sa tension artérielle par un médecin et un rapport de prise en charge au besoin, considérant sa pression élevée.
À la fin de cette rencontre, l’infirmière indique au plaignant que son dossier sera évalué par le médecin-conseil de la STM dans les douze mois suivant le dépôt complet de sa candidature. Bien qu’il ait fourni à l’employeur tous les renseignements requis et qu’il ait été déclaré apte à occuper l’emploi qu’il convoitait, le plaignant n’en a jamais été informé puisque son dossier aurait été « mal classé ». Comme résultat de cette erreur, le candidat doit recommencer le processus préembauche.
Lorsqu’il voit apparaître sur le Web un nouvel appel de candidatures pour le poste de technicien en électronique, le plaignant postule à nouveau. Il se soumet au même processus préembauche que la première fois.
Par la suite, le plaignant apprend que le poste a été comblé par un autre.
La décision
Le Tribunal des droits de la personne doit donc décider si la STM a porté atteinte au droit à l’égalité du candidat en requérant par divers moyens des renseignements sur son état de santé et ses habitudes de vie qui n’étaient pas utiles pour évaluer les aptitudes et les qualités requise pour le poste de technicien en électronique.
De même, le Tribunal doit se demander si la STM a compromis le droit du candidat d’être traité en pleine égalité, sans distinction fondée sur le handicap en refusant de l’embaucher.
Le Tribunal des droits de la personne débute en précisant que les questionnaires et les examens préembauches relatifs à l’état de santé du plaignant portent sur l’un des motifs de discrimination énuméré à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, soit le motif du handicap.
Toutefois, la cueillette de tels renseignements ne contrevient pas à l’article 10 si l’employeur est en mesure de prouver que :
1) ses normes ou exigences ont été adoptées dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause ;
2) elles sont raisonnablement nécessaires pour réaliser le but légitime lié au travail ;
3) il est impossible d’accommoder le travailleur sans subir une contrainte excessive.
Après avoir analysé les exigences requises, le Tribunal conclut que celles-ci ne justifient pas, pour garantir la sécurité de l’employé et d’autrui, qu’un candidat soit questionné de manière discriminatoire sur des problèmes de santé. Ainsi, selon le Tribunal, les questions d’ordre général portant sur la présence de tout type de limitations fonctionnelles, ainsi que les questions portant sur les antécédents personnels à l’exception des yeux, de maladie du système nerveux ou musculaire et finalement les questions portant sur sa consommation de drogue et alcool étaient discriminatoires au sens des articles 10 et 18.1 de la Charte.
Le Tribunal est d’avis que les exigences du poste convoité doivent être examinées en tenant compte de la nature des risques encourus dans l’exécution de ce travail. En l’espèce, le Tribunal estime que les risques reliés à la nature du travail de technicien se distingue d’un poste qui pourrait justifier une norme de sécurité accrue pour la protection du public comme chez les chauffeurs d’autobus, par exemple.
Pour tout ce qui précède, le Tribunal conclut que le processus de sélection auquel a dû se soumettre le plaignant a porté atteinte de façon discriminatoire à son droit à l’intégrité, à la sauvegarde de sa dignité et au respect de sa vie privée. La STM est condamnée à verser au candidat approximativement 42 000$ à titre de dommage-intérêts matériels pour compenser sa perte salariale découlant du fait qu’il n’a pu occuper le poste et 10 000$ à titre de dommage-intérêts moraux pour compenser l’atteinte à sa dignité et à sa vie privée.