Dans une récente décision, le Tribunal administratif du Travail (« Tribunal ») rejette une plainte alléguant harcèlement psychologique déposée en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») contre un employeur, et ce, malgré le fait que le plaignant ait été victime de harcèlement psychologique en raison d’une conduite grave d’un collègue de travail.
Le Tribunal considère que l’employeur a respecté les obligations qui lui incombent en vertu de la LNT en prenant les moyens nécessaires pour faire cesser le harcèlement dès que cette conduite a été portée à son attention.
Les faits
Dans cette affaire, le plaignant est embauché en juin 2016, à titre de mécanicien. En février 2019, il dépose une plainte alléguant avoir subi du harcèlement psychologique de la part de certains collègues de travail tout au long de son emploi, notamment de la part du chef mécanicien. Ce dernier fait des blagues sur les personnes de couleur noire et ironise la façon dont ils parlent français. Le plaignant allègue également avoir été l’objet de propos vexatoires de la part d’un fournisseur à l’automne 2018 et finalement, d’avoir été l’objet d’insultes racistes et de menaces de mort de la part d’un collègue le 13 février 2019.
Suivant ce dernier incident, le plaignant dépose une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (« CNESST ») visant à faire reconnaitre qu’il est victime d’une lésion professionnelle. La CNESST accepte cette réclamation et le plaignant est en arrêt de travail jusqu’en juin 2019.
Le plaignant occupe son poste de juin à octobre 2019, date à laquelle il démissionne. Il prétend avoir été forcé de démissionner ayant peur à tous les jours que son collègue ne le tue. Il n’allègue cependant aucune autre manifestation de harcèlement entre juin et sa démission.
L’employeur, pour sa part, soutient qu’il ignorait que des propos racistes ou vexatoires envers le plaignant avaient été formulés avant l’incident du 13 février 2019. Quant à cet incident, il prétend qu’il ne s’agit pas de harcèlement psychologique, mais plutôt d’une situation conflictuelle entre deux collègues. Subsidiairement, il soutient avoir respecté son obligation de faire cesser le harcèlement dès qu’il lui fut dénoncé.
La décision
Le Tribunal administratif du Travail devait d’abord déterminer si les situations alléguées par le plaignant constituent du harcèlement psychologique et, dans l’affirmative, si l’employeur a respecté son obligation légale de faire cesser ce harcèlement lorsqu’il a été porté à son attention.
Dans un premier temps, le Tribunal rappelle les critères constitutifs du harcèlement psychologique. Il souligne qu’une conduite unique peut également être considérée comme étant du harcèlement psychologique si elle revêt un caractère grave, porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique ou entraîne un effet nocif continu pour le salarié. Le fardeau de preuve appartient au salarié et l’appréciation du caractère vexatoire s’évalue en fonction du critère de la victime raisonnable. Une fois le fardeau du salarié rempli, il appartient alors à l’employeur de démontrer qu’il a respecté les obligations qui lui incombent en vertu de la LNT en termes de prévention et afin de faire cesser le harcèlement.
Appliquant ces principes aux faits, le Tribunal considère qu’en ce qui concerne les propos racistes dont le plaignant aurait été victime tout au long de son emploi, il s’agit de conduites inacceptables et vexatoires. Toutefois, comme le plaignant n’est pas en mesure d’identifier ni la fréquence ni les moments où il a été confronté à de telles conduites, le Tribunal ne peut conclure que les comportements allégués présentent le caractère vexatoire répété afin d’être qualifié de harcèlement psychologique au sens de la LNT. De surcroit, le Tribunal souligne que même si tel avait été le cas, l’on ne saurait conclure que l’employeur n’a pas respecté son obligation légale de faire cesser le harcèlement psychologique à défaut d’en avoir été informé.
En ce qui concerne l’incident impliquant un fournisseur, le Tribunal considère que celui-ci n’a pas eu lieu dans le contexte de la relation employeur-employé, ni sur les lieux du travail. En effet, il s’agit plutôt d’une visite à titre personnel du plaignant, durant laquelle ce dernier perçoit l’attitude d’un gérant du fournisseur comme étant vexatoire.
Finalement, en ce qui concerne l’événement du 13 février 2019 rapporté par le plaignant, le Tribunal conclut qu’il s’agit en effet d’une situation d’harcèlement psychologique. Le collègue a prononcé des paroles inacceptables envers le plaignant, le traitant de « nègre » et proférant des menaces de mort. Le Tribunal estime que les insultes racistes sont disgracieuses et honteuses, tout comme les menaces de mort, et ont porté attente à la dignité psychologique du plaignant qui s’est senti dévalorisé et non respecté. Il s’agit d’une conduite vexatoire grave en vertu de l’article 81.18 de la LNT qui a produit un effet nocif continu pour le plaignant.
Cependant, le Tribunal considère que l’employeur a réagi en temps opportun, soit le jour-même de l’incident. En effet, le vice-président aux opérations a procédé à une enquête sur le champ, a rencontré le collègue afin de lui rappeler que ses paroles sont inadmissibles et lui a donné une mesure disciplinaire sous la forme d’un avertissement verbal. Le collègue a, de son côté, reconnu ses torts et s’est excusé. Le Tribunal souligne que le plaignant n’est pas satisfait par cette sanction et déplore son manque de sévérité, mais qu’il ne lui appartient pas de déterminer si la mesure disciplinaire est suffisante. Il lui appartient plutôt d’établir si l’employeur a pris les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement une fois qu’il a été porté à son attention. Son pouvoir d’intervention est donc limité à ce niveau.
La preuve démontre également que cette intervention a eu pour résultat de faire cesser définitivement le harcèlement psychologique à l’endroit du plaignant. L’employeur a donc pris les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement psychologique dès qu’il en a été informé, respectant ainsi son obligation légale. Le Tribunal conclut donc que dans les circonstances, la plainte doit être rejetée.
Chaperon c Montréal Auto Prix inc., 2021 QCTAT 4355