Dans une récente décision, le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») déclare qu’un Employeur a droit au transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle qu’a subie une travailleuse et ce, à partir de la date de sa retraite.
Le TAT applique ainsi une interprétation plus équitable la notion d’employeur « injustement obéré » prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »).
Les faits
La travailleuse était à l’emploi de l’Employeur, la Ville de Sainte-Anne-des-Plaines, à titre de concierge depuis 16 ans.
Le 14 janvier 2016, elle adresse une lettre à l’Employeur l’informant de sa retraite en date du 30 juin 2016.
Le 31 mars 2016, elle subit un accident du travail.
Le 22 juin 2016, le médecin qui a charge de la travailleuse autorise une assignation temporaire.
La travailleuse est donc assignée temporairement pendant quelques jours avant de prendre sa retraite à la date prévue, le 30 juin 2016. Durant cette période, la CNESST cesse le versement d’indemnités de remplacement de revenu (les « IRR ») à la travailleuse.
En raison de sa retraite et de l’interruption de l’assignation temporaire, la CNESST reprend alors le versement des IRR à la travailleuse. Conséquemment, une somme de 18 893,92$ est versée à la travailleuse en guise d’IRR pour la période comprise entre le 2 juillet 2016 et le 21 mars 2017, date de la consolidation de sa lésion, soit une période de 263 jours.
Les IRR versées à la travailleuse sont donc imputées au dossier financier de l’Employeur conformément au principe de l’article 326 de la LATMP.
Les principes et leur application par le TAT
L’article 326 LATMP consacre le principe de l’imputation du coût des prestations versées par la CNESST au dossier financier d’un employeur pour établir l’impact des réclamations formulées par des travailleurs accidentés sur la cotisation de cet employeur.
Or, le deuxième alinéa de cet article prévoit que la CNESST peut ne pas imputer le coût des prestations au dossier financier d’un employeur notamment si une telle imputation a pour effet « d’obérer injustement » cet employeur.
La jurisprudence majoritaire du TAT considère que l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où une situation d’injustice fait en sorte que des coûts représentant une proportion significative par rapport à ceux qui résultent des conséquences de l’accident du travail soient portés à son dossier financier.
À cet égard, deux (2) critères sont requis dans l’appréciation de la notion « d’obérer injustement » : 1- Une situation d’injustice ; 2) Laquelle entraîne une proportion significative de coûts pour l’employeur.
Jusqu’à tout récemment, pour les tenants d’un courant jurisprudentiel majoritaire, la retraite, la démission et le congédiement d’un travailleur faisaient partie des risques inhérents que tout employeur devait assumer. Conséquemment, la reprise du versement des IRR en raison de la survenance de l’une de ces circonstances n’avait pas pour effet d’obérer injustement un employeur.
La décision
Or, après avoir vulgarisé les principes généraux qui encadrent le système de tarification appliqué par la CNESST et en avoir dressé l’historique, le TAT procède, dans cette affaire, à une analyse étoffée de la notion d’employeur « injustement obéré »[1].
Il conclut que puisque la retraite ne constitue pas un risque inhérent aux activités qui sont en relation directe et intime avec le travail réellement effectué dans l’entreprise et pour lesquelles l’employeur est cotisé, celui-ci serait obéré injustement si son dossier financier en était imputé. En d’autres termes, le TAT considère, dans cette affaire, que seuls les risques qui découlent de l’exécution du travail devraient être pris en compte.
Le TAT s’écarte ainsi de l’interprétation majoritaire et jusqu’alors privilégiée, laquelle considère plutôt comme risques inhérents ceux qui peuvent être rencontrés dans l’ensemble des activités économiques de l’employeur, y incluant tout type d’événements et de situations qui surviennent à l’occasion du travail.
Le TAT considère que la retraite, tout comme la mise à pied, le congédiement et la démission entre dans la sphère des conditions et relations de travail liant un employeur et ses travailleurs. Ces considérations de relations de travail ne relèvent d’aucun enjeu relié à la santé et la sécurité du travail.
Il conclut donc que la retraite d’un travailleur accidenté ne fait pas partie des risques inhérents pour lesquels un employeur souscrit une « assurance » auprès de la CNESST et paie une cotisation.
Ainsi, la Ville de Sainte-Anne-des-Plaines n’a pas à être imputée des IRR alors que l’assignation temporaire est autorisée par le médecin qui a charge et ce, pour la période couvrant la date de la retraite jusqu’à la date de consolidation de la lésion. [1]
Pour y arriver, le TAT fait un examen rigoureux du concept de « risques inhérents aux activités économiques d’un employeur » qui est décisif pour déterminer si un employeur est « injustement obéré » de l’imputation d’une prestation. Il propose une interprétation plus équitable
Ville de Sainte-Anne-des-Plaines, 2021 QCTAT 1069 (Décision de Denys Beaulieu, juge administratif)