Les employeurs au Québec ont-ils le droit d’exiger des personnes qu’ils emploient la divulgation de leur statut vaccinal ? Un arbitre de grief vient de donner des éléments de réponse à cette question dans une sentence arbitrale qu’il a rendue le 15 novembre dernier.
Plusieurs employeurs, fournisseurs de services d’entretien ménagers, ont demandé à l’arbitre de grief, Me Denis Nadeau, de se prononcer sur la légalité de la cueillette obligatoire d’une preuve de vaccination de leurs employés en raison des exigences de certains de leurs clients, lesquels requièrent cette preuve pour permettre l’accès à leurs locaux.
L’arbitre devait également se prononcer sur les conséquences de cette exigence sur le lien d’emploi des employés qui ne sont pas vaccinés, en regard notamment des conventions collectives applicables.
Les prétentions des parties
Le syndicat conteste le droit des employeurs de recueillir le statut vaccinal des employés, alléguant qu’une telle collecte contrevient à leur droit à la vie privée et leur droit à l’intégrité de leur personne, tous deux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »).
Selon le syndicat, cette atteinte n’est pas justifiée par un objectif légitime de protection de la santé et de la sécurité.
Pour leur part, les employeurs soutiennent d’abord que le statut vaccinal d’une personne n’est pas un renseignement dont la simple collecte porte atteinte de façon importante à la vie privée de cette dernière.
Ensuite, ils ajoutent que l’exigence de la preuve vaccinale émane de leurs clients, de sorte qu’il ne leur appartient pas de justifier l’atteinte alléguée en regard des droits fondamentaux. L’analyse de l’arbitre devrait selon eux se résumer à constater le caractère nécessaire de l’obtention du renseignement pour exécuter les fonctions chez certains clients.
Finalement, ils arguent que s’il y a atteinte, celle-ci se justifie au regard des « valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec », tel que le prévoit l’article 9.1 de la Charte.
La décision
I. L’exigence de la preuve vaccinale
Il est important de souligner que l’arbitre détermine que la partie patronale ne peut se limiter à invoquer les exigences de ses clients afin de justifier une atteinte aux droits fondamentaux de ses employés. En important les conditions de travail exigées par un tiers à ses employés, celle-ci se retrouve à partager ces exigences et doit, par conséquent, pouvoir les justifier en regard du droit applicable.
De plus, l’arbitre ne retient pas la prétention de l’employeur à l’effet que cette cueillette d’information ne contrevient pas au droit au respect de la vie privée. Au contraire, celui-ci confirme le principe déjà établi par certains tribunaux à l’effet que des questions posées à des personnes quant à leur statut vaccinal porte atteinte à la vie privée, même si cette atteinte est considérée plutôt minime.
Cependant, si la Charte protège les droits fondamentaux des personnes, elle mentionne également que ces droits « s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques (…) de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ». L’arbitre nous rappelle d’ailleurs que le préambule de la Charte prévoit que « les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général ».
Ainsi, toute situation de revendication d’un droit doit être conciliée avec « les droits, les valeurs et les préjudices opposés ». C’est précisément l’exercice auquel se livre l’arbitre.
C’est ici que la décision devient très intéressante. L’arbitre prend acte du fait que les deux parties (patronale et syndicale) s’entendent sur deux constats scientifiques qui seront l’assise de sa réflexion :
- S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné est susceptible de subir les conséquences les plus graves de la COVID-19, et ce, contrairement à un salarié vacciné ;
- S’il contracte la COVID-19, le salarié non vacciné a une charge virale plus élevée qu’un salarié vacciné, et, conséquemment, il est plus susceptible de transmettre ce virus.
Devant ces deux constats scientifiques, l’arbitre arrive à l’importante conclusion suivante :
« une personne salariée qui n’est pas vaccinée est susceptible de mettre en péril non seulement sa santé, en raison des conséquences les plus graves qu’elle peut subir si elle est infectée par le virus de la COVID-19, mais également la santé – voire même l’intégrité physique dans les cas les plus graves - des personnes à qui elle peut transmettre le virus. Je note que c’est, entre autres, afin d’éviter cette conséquence que des clients exigent la preuve de vaccination. »
Par conséquent, les clients d’un employeur sont en droit d’imposer une exigence vaccinale à leurs employés ainsi qu’à leurs sous-traitants, en raison de leurs obligations qui découlent de la Loi sur la santé et sécurité au travail (« LSST »). Cette loi oblige les employeurs à prendre tous les moyens nécessaires, humainement logiques et raisonnables pour « ne pas exposer les travailleurs à des conditions de travail dangereuses ou malsaines » dans leur établissement.
L’arbitre va même plus loin. Il mentionne que l’employé non vacciné qui se présente sur les lieux du travail représente un risque non seulement pour lui-même, mais également envers les autres employés. Ce faisant, il contrevient, en principe, à ses obligations prévues à la LSST. Selon cette loi, les personnes salariées ont des obligations corrélatives à celles des employeurs, et doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé et sécurité ainsi que celle des autres.
L’arbitre indique de surcroît que l’absence de décret gouvernemental imposant la vaccination obligatoire ou obligeant les employés de l’État à divulguer leur statut vaccinal n’empêche pas un employeur d’adopter une politique en ce sens en milieu de travail.
Après avoir procédé à l’analyse des circonstances particulières de l’affaire, notamment en tenant compte du fait que les employés non vaccinés pourront être relocalisés ou placés sur une liste de rappel, et considérant le secteur d’activités des employeurs (salubrité et hygiène), la conclusion de l’arbitre est la suivante :
« L’obligation de dévoiler son statut vaccinal – et donc un renseignement personnel et confidentiel – empiète sur la vie privée des personnes salariées. Toutefois …une telle atteinte est sans conséquence en comparaison des inconvénients majeurs, et reconnus par les constats scientifiques actuels, provenant de la présence de personnes non vaccinées en milieu de travail »
Notons toutefois que l’arbitre précise qu’il ne se prononce pas sur la légalité d’une telle politique pour l’ensemble des secteurs d’activités au Québec.
II. Les conséquences du refus de dévoiler son statut ou de se faire vacciner
Puisque, selon l’arbitre, la preuve vaccinale exigée par les clients de la partie patronale est justifiée pour réduire les risques de propagation de la COVID-19, elle devient alors une exigence normale au travail pour les employés qui sont appelés à travailler chez ces clients spécifiques.
Pour les employés qui ne rencontrent pas cette exigence, l’arbitre considère qu’en vertu du mécanisme de « transfert administratif » prévu aux conventions collectives, ils ont le droit d’être relocalisés sur des postes qui n’ont pas cette exigence.
L’arbitre conclut ainsi sa décision : « En finalité dans l’hypothèse où tous les clients de l’employeur avaient cette exigence, les personnes salariées non vaccinées ne pourraient alors être transférées selon la procédure prévue à la convention et, en raison du manque de travail en découlant, se retrouveraient en situation de mise à pied. »
Union des employés et employées de service, section locale 800 c. Services ménagers Roy ltée., 2021 CanLII 114756 (QC SAT)