La Cour d’appel du Québec s’est prononcée sur trois questions concernant l’application de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») : 1) le droit de l’employeur de bénéficier des dispositions relatives à l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire, 2) l’inclusion des périodes de repas rémunérées dans le calcul des heures supplémentaires, et 3) la détermination du point de départ de la semaine normale de travail aux fins de ce calcul.
I. Faits
L’employeur, opérant sous la raison sociale Gestion Danis & Frères (« Gestion Danis »), fournit de la main-d’œuvre à la papetière PF Résolu Canada Inc. Les salariés de Gestion Danis y travaillent un total de 84 heures par deux semaines (alternativement 48 heures la première semaine, et 36 heures la seconde, pour une moyenne hebdomadaire de 42 heures).
Cet horaire comprend des périodes de repas rémunérées à taux simple. Compte tenu de la durée prévue pour le repas et de l’emplacement de la papetière, il doit nécessairement être pris dans la cafétéria de l’usine.
En vertu de la LNT, la semaine normale de travail est de 40 heures, et les heures travaillées au-delà de la semaine normale doivent être rémunérées à taux majoré.
À la suite d’une plainte anonyme, la CNESST réclame 114 358,78 $ à Gestion Danis, au bénéfice de 34 salariés. La CNESST est d’avis que l’employeur contrevient à la LNT concernant le paiement des heures supplémentaires, pour les trois raisons suivantes :
- L’employeur ne peut pas unilatéralement étaler les heures de travail au-delà d’une semaine, du lundi au dimanche, pour en tirer une moyenne ;
- Le calcul du temps supplémentaire doit inclure les périodes de repas rémunérées, essentiellement parce que les salariés ne peuvent pas quitter l’usine ;
- Ce calcul doit être basé sur une semaine de travail débutant obligatoirement le lundi (et non pas le dimanche, comme allégué par l’employeur).
II. Analyse
L’étalement des heures sur une base autre qu’hebdomadaire
La LNT prévoit la possibilité pour un employeur de convenir d’une entente individuelle avec un salarié permettant l’étalement de ses heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire. La loi permet aussi à l’employeur de procéder à un étalement des heures de ses salariés, si toutefois il obtient l’autorisation préalable de la CNESST.
En l’espèce, à la suite de la production de la réclamation de la CNESST, Gestion Danis a pris l’initiative de faire signer des ententes d’étalement à 16 de ses salariés, avec effet rétroactif.
Gestion Danis soutient que ces ententes sont conformes à la loi, et que la CNESST doit maintenant en tenir compte dans le calcul des heures supplémentaires de ses salariés.
La Cour d’appel conclut que ces ententes sont invalides parce qu’elles sont rétroactives. Puisque les ententes ont été signées par les salariés après la production de la réclamation par la CNESST, la Cour estime que l’effet rétroactif recherché par Gestion Danis est contraire à l’esprit de la LNT et dénote un désir d’éluder l’application de la loi.
À tout événement, la Cour d’appel, faisant preuve de pragmatisme, souligne qu’un employeur dont les besoins opérationnels nécessitent l’étalement des heures sur une période autre qu’hebdomadaire a tout intérêt à obtenir l’autorisation de la CNESST, puisqu’il n’aura donc pas à dépendre des accords individuels avec chacun de ses salariés.
Le calcul des heures supplémentaires et les périodes de repas rémunérées
En second lieu, Gestion Danis affirme que les périodes de repas rémunérées ne doivent pas être considérées comme du temps travaillé aux fins du calcul des heures supplémentaires.
La Cour d’appel est d’accord avec cette position et souligne que le fait de rémunérer une période de repas ne fait pas en sorte qu’elle doive être comprise dans le calcul des heures travaillées par un salarié.
Elle ajoute d’ailleurs que, compte tenu essentiellement de la période allouée, le fait que les salariés doivent forcément demeurer sur les lieux du travail pendant la période de repas n’en fait pas plus du temps effectivement travaillé : « Il faut plutôt déterminer si, durant la pause repas, le salarié exécute son travail ou est présumé exercer son travail ».
La valeur monétaire de la réclamation de la CNESST s’en est donc vue significativement réduite.
Le point de départ de la semaine de travail pour le calcul des heures supplémentaires
Finalement, Gestion Danis argumente que la CNESST aurait dû prendre en considération que la semaine normale de travail débutait le dimanche, et non pas le lundi.
En fonction de l’horaire de travail mentionné précédemment, l’employeur affirme que la position de la CNESST a pour effet d’indûment augmenter le nombre d’heures de travail devant être rémunérées à taux majoré.
Le calendrier administré en preuve par l’employeur démontrait que l’horaire des salariés débutait le dimanche, tandis que les cartes de poinçon préimprimées qu’utilisait Gestion Danis indiquaient une semaine de travail débutant le lundi. Cela dit, la Cour d’appel est d’avis que le calendrier prouvait, de manière prépondérante, que l’horaire de travail débutait réellement le dimanche.
Encore une fois, la réclamation de la CNESST s’en voit donc diminuée.
III. Conclusion
Compte tenu de tout ce qui précède, la réclamation de la CNESST contre Gestion Danis fut réduite de 114 358,78 $ à 43 846,82 $, plus de 60% !
4036409 Canada Inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2024 QCCA 1250.