Le ministre du Travail Jean Boulet avait annoncé, en 2024, son intention d’amender le Code du travail afin de limiter les impacts disproportionnés causés à la population par certains conflits de travail depuis le sillon laissé par l’arrêt Saskatchewan, en 2015. Dans cet arrêt, la Cour suprême avait jugé inconstitutionnel le recours à une loi spéciale afin de limiter le droit de grève sans mécanisme alternatif de règlement des différends, tel l’arbitrage.
C’est dans ce contexte que le ministre du Travail a déposé, le 19 février dernier, le projet de loi no 89. Celui-ci met à la disposition du gouvernement deux outils.
Le premier impose aux parties à un conflit de travail l’obligation de maintenir les services assurant le bien-être de la population. Le deuxième, inspiré des pouvoirs dévolus à son homologue fédéral, confère au ministre du Travail le pouvoir discrétionnaire de déférer un conflit de travail à l’arbitrage obligatoire dans des situations exceptionnelles.
L’obligation de maintenir les services assurant le bien-être de la population
Le projet de loi no 89 prévoit la mise en place d’un régime visant la protection des services assurant le bien-être de la population. On entend par « services assurant le bien-être de la population » les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité.
Dans les débats parlementaires ayant mené à l’adoption à ce projet de loi, le ministre Jean Boulet précise ceci en lien avec l’interprétation de ce qu’il entend des « services assurant le bien-être de la population » :
« En fait, les droits des travailleurs reconnus dans le Code du travail puis dans la Charte des droits et libertés de la personne sont totalement respectés. Ce que ce projet de loi là fait, c’est de protéger davantage les besoins de la population, notamment les personnes en situation de vulnérabilité, pendant une grève ou un lock-out. Tout ce que nous cherchons à faire, c’est de maintenir un équilibre entre l’exercice du droit de grève et les répercussions extrêmement dommageables pour la population. Une grève, c’est un moyen de pression sur un employeur, mais ça ne peut pas servir à prendre la population en otage. »
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Or, le projet de loi confère au gouvernement le pouvoir de désigner, par décret, un syndicat et un employeur à l’égard desquels le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») pourra déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out.
Le projet de loi octroi donc au TAT la compétence d’assujettir les parties désignées par décret à l’obligation de maintenir de tels services. Cette ordonnance s’appliquera pour la seule phase des négociations en cours.
Les parties visées par la décision du TAT disposeront d’un délai de 15 jours pour négocier les services devant être maintenus. Le projet de loi octroi de larges pouvoirs au TAT lui permettant de déterminer lui-même les services à maintenir et la façon de les maintenir s’il juge l’entente entre les parties insuffisante, ou si le délai de 15 jours est échu.
La grève ou le lock-out se poursuit malgré la décision du Tribunal d’assujettir les parties au maintien de services, à moins de circonstances exceptionnelles. Dans un tel cas, le TAT peut suspendre l’exercice du droit de grève ou de lock-out jusqu’à ce qu’il puisse évaluer la suffisance des services.
La fonction publique est exclue de ce nouveau régime, de même que Santé Québec, les agences et les principaux établissements au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Les centres de services scolaires et les CEGEP sont cependant visés.
Le pouvoir spécial du ministre du Travail
Le projet de loi confère de plus au ministre du Travail le pouvoir, s’il estime qu’une grève ou un lock-out menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population, de déférer le différend à un arbitre afin que ce dernier détermine les conditions de travail applicables aux salariés visés. Ce pouvoir sera conditionnel à ce qu’une intervention préalable d’un conciliateur ou d’un médiateur se soit avérée infructueuse.
Afin de recourir à ce pouvoir spécial, le ministre devra aviser les parties qu’il défère le différend à l’arbitrage. La grève ou le lock-out en cours prendra fin à la date et à l’heure indiquées dans l’avis, et les conditions de travail applicables aux salariés visés feront l’objet d’un gel conformément à l’article 59 du Code du travail.
Les parties auront alors 10 jours pour choisir l’arbitre qui tranchera le différend subsistant entre les parties concernant les clauses de la convention collective. À défaut d’entente, l’arbitre sera nommé par le ministre du Travail. La sentence arbitrale aura l’effet d’une convention collective signée par les parties.
Les secteurs public et parapublic sont exclus du champ d’application de ce pouvoir, c’est-à-dire, principalement, la fonction publique, les collèges, les centres de services scolaires, Santé Québec, les agences et les principaux établissements au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.
Ce projet de loi, présenté le 19 février 2025, doit encore franchir plusieurs étapes avant sa sanction. Il est possible que certains amendements y soient apportés après son étude par l’Assemblée nationale et les commissions parlementaires alors que les partis d’oppositions ont déjà annoncé qu’ils y porteront une attention « très particulière ».