Le 13 septembre 2022, le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») a rendu une décision intéressante en lien avec l’application de l’article 12 du Code du travail (le « Code »)[1]. L’article 12 interdit notamment à un employeur d’entraver les activités d’une association de salariés.
LES FAITS
Dans cette affaire, le syndicat représentant les salariés dépose une plainte pour entrave aux activités syndicales contre l’employeur, une entreprise spécialisée dans les produits d’emballage. Au soutien de sa plainte, le syndicat reproche notamment à l’employeur d’avoir communiqué directement avec ses salariés au sujet de certains aspects liés à la négociation du renouvellement de la convention collective. De fait, les gestes reprochés prennent la forme d’une communication écrite transmise par l’employeur à l’ensemble des salariés syndiqués en réponse à un tract syndical portant sur un aspect précis de l’entente de principe intervenue entre les parties.
Au moment de la plainte, les négociations entourant le renouvellement de la convention collective avaient mené à une entente de principe en juillet 2021, laquelle devait être complétée par la rédaction des textes définitifs.
Toutefois, lors de la rédaction de ces textes, les parties constatent leur divergence d’opinions relativement à l’interprétation d’un article de la convention collective, ce qui a pour effet d’en retarder la signature.
Dans ce contexte, le syndicat affiche alors un tract destiné à ses membres et visant à les informer de la situation. Compte tenu de la divergence d’opinions quant à l’article en cause, il mentionne que « c’est pour cette raison que l’employeur ne veut pas signer votre renouvellement de convention et pourquoi vos rétros dus au 1er août seront retardés ». Le syndicat conclut comme suit :
« Sachez que nous sommes en mode solution (du moins de la part de la partie syndicale) et que nous sommes actuellement en attente d’un retour de l’employeur pour une rencontre afin de dénouer l’impasse et espérer signer votre renouvellement le plus rapidement possible ».
L’employeur affiche, quelques jours plus tard, un communiqué en réponse au tract syndicat, ce dernier souhaitant clarifier la situation et rectifier certaines informations. L’employeur affirme notamment ce qui suit :
« Nous demeurons disponibles pour une signature immédiate et non pour rouvrir l’entente qui est intervenue, tel que la demande syndicale. La solution proposée par la partie syndicale de retourner au corporatif pour ce montant 3 mois suivant l’entente de principe risque de mettre en péril notre position très favorable et convoitée face aux investissements (nouvelle presse).
Nous nous étions rendus disponibles cet après-midi, acceptant de libérer pour le nombre d’heures de la rencontre la partie syndicale, mais malheureusement ceux- ci ont décliné l’offre. »
Au soutien de sa plainte, le syndicat estime que l’employeur commet une entrave à ses activités, tandis que ce dernier soutient avoir agi dans les limites de sa liberté d’expression, laquelle est protégée par la Charte des droits et libertés de la personne.
Outre cette communication, le syndicat reproche également certains agissements de représentants de l’employeur en lien avec la diffusion d’une pétition originant de salariés syndiqués mécontents du rejet de l’entente de principe modifiée.
Bien que le syndicat reconnaisse que l’employeur n’est pas l’initiateur de cette pétition, il prétend toutefois que deux représentants patronaux ont contribué à son avancement en facilitant la signature de celle-ci dans le bureau des superviseurs, en diffusant son existence et en laissant croire que le président du syndicat y était associé.
LA DÉCISION
D’abord, le TAT rappelle que l’article 12 du Code ne prive pas l’employeur de sa liberté d’expression garantie par la Charte des droits et libertés de la personne et, par conséquent, ne l’empêche pas de communiquer directement avec ses salariés notamment lorsqu’il est engagé dans un processus de négociation collective avec le syndicat les représentant.
Toutefois, la liberté d’expression de l’employeur doit respecter certaines balises qui sont bien établies au sein de la jurisprudence, à savoir :
- Il ne doit faire directement ou indirectement aucune menace ;
- Il ne doit faire directement ou indirectement aucune promesse, toujours pour amener les salariés à adopter son point de vue ;
- Il doit tenir des propos défendables quant à leur réalité, surtout ne visant pas à tromper ;
- Il doit s’adresser à la réflexion des personnes et non soulever leurs émotions, particulièrement leur mépris, évitant tout style outrancier ou pathétique ;
- Ses interlocuteurs doivent être libres ou non d’écouter ou de recevoir son message ;
- Il ne doit d’aucune façon utiliser son autorité d’employeur, sur la base du lien de subordination établie avec les salariés, pour propager ses opinions contre le syndicalisme.
Le TAT conclut que le syndicat n’a pas établi de manière prépondérante que l’employeur a contrevenu à l’un de ces critères dans le cadre du communiqué qu’il a affiché. Il retient que l’employeur informe les salariés de sa perception de la négociation dans un contexte où le syndicat le blâme de ne pas respecter ses engagements et de ne pas vouloir signer la convention collective.
Le TAT réitère que l’employeur bénéficie d’un droit de réplique pour rétablir les faits et répondre à des affirmations inexactes, ce qu’il a fait en l’espèce. Il poursuit en mentionnant que « le syndicat ne peut être le seul à jouir de la liberté d’expression et à occuper tout le champ de la parole, même en temps de négociation de la convention collective ».
Enfin, le TAT souligne que bien que les tracts syndicaux et le communiqué de l’employeur puissent avoir exercé une pression sur le syndicat, cela n’est pas suffisant pour démontrer qu’il y a eu entrave ou tentative d’entrave à ses activités.
Quant à l’implication de l’employeur dans la signature de la pétition, le TAT retient que les gestes posés par les deux superviseurs sont isolés et constituent de la maladresse, lesquels ne pouvant être assimilés à de la négligence grave :
[64] Prenant appui sur la jurisprudence et la doctrine, le Tribunal estime que l’article 12 du Code ne vise pas la simple maladresse commise par des représentants de l’employeur sans la connaissance de ce dernier et que la commission de l’infraction suppose que l’intervention ait été commandée par l’employeur ou du moins connue de lui.
À la lumière de ce qui précède, la plainte formulée par le syndicat en vertu de l’article 12 du Code est rejetée.
[1] Union des employés et employées de service, section locale 800 c. Compagnie WestRock du Canada Corp., 2022 QCTAT 4159.