Les faits

L’Employée, qui compte 33 années de service chez l’employeur, sombre dans une profonde dépression après avoir été renvoyée chez elle par son supérieur immédiat pour réfléchir aux modalités d’une fin d’emploi à venir. Elle reçoit dans les jours qui suivent des prestations d’invalidité prévues par son régime d’assurance collective financé à 80% par l’employeur.

Dix mois plus tard, alors qu’elle est toujours en période d’invalidité, elle est avisée de son congédiement. 

Alléguant avoir été l’objet d’un congédiement sans motif sérieux, elle réclame une indemnité tenant lieu d’un délai de congé ainsi que des sommes importantes à titre de dommages-intérêts punitifs et en réparation du préjudice moral découlant de la résiliation abusive de son contrat de travail.

En première instance, la Cour supérieure donne partiellement raison à l’Employée et condamne l’employeur, en autre chose, à lui payer une indemnité tenant lieu de délai de congé équivalente à 24 mois de revenus. Le juge retranchera cependant de cette indemnité une partie de la somme perçue par l’Employée à titre de prestations d’invalidité suivant sa fin d’emploi, et ce, au prorata de la contribution de l’employeur au régime d’assurance.

Le jugement de la Cour d’appel

Par l’un de ses moyens d’appel, l’Employée conteste le retranchement des prestations d’invalidité qu’elle a continué de recevoir suivant sa fin d’emploi de la somme allouée à titre de compensation pour l’insuffisance de son délai de congé. Elle argue que cette déduction contrevient à l’article 1608 du Code civil du Québec (le « CCQ »).

L’article 1608 CCQ prévoit que :

1608. L’obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier.

La Cour d’appel donne raison à l’Employée sur ce point et juge que l’article 1608 CCQ s’applique chaque fois qu’un salarié reçoit des prestations d’invalidité d’un assureur, indépendamment du fait que l’employeur paie, en tout ou en partie, le coût des primes d’assurance.

La Cour explique sa position en mentionnant que conclure autrement aurait pour effet de transformer l’assurance invalidité au bénéfice du salarié en assurance qui protégerait l’employeur contre les conséquences pécuniaires de son obligation de donner un délai de congé raisonnable.

La Cour d’appel mentionne être consciente que cette solution peut entraîner une forme de double indemnisation, mais qu’il demeure qu’au Québec, il s’agit de la solution retenue par le législateur. 

Elle précise en outre qu’il en irait autrement si l’employeur payait non pas les primes d’assurance, mais le salaire ou une partie du salaire en cas d’invalidité puisque dans ce dernier cas, l’article 1608 CCQ. ne s’appliquerait pas.

Pour ces motifs, la Cour est d’avis d’augmenter à 203 185 $ l’indemnité tenant lieu de délai de congé de l’Employée.

Commentaires des auteurs

La conclusion de la Cour d’appel en lien avec ce moyen d’appel surprend compte tenu de l’approche retenue par les tribunaux québécois depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Sylvester c. Colombie-Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315.

Dans cet arrêt, la Cour suprême rappelle que les prestations d’invalidité visent à remplacer le salaire reçu ordinairement par l’employé et que les dommages et intérêts versés suivant un congédiement sont calculés en fonction du salaire que l’employé aurait reçu s’il avait été au travail pendant son préavis. 

Elle conclut qu’il serait illogique de verser des dommages et intérêts en supposant que l’employé aurait travaillé, en sus de prestations d’invalidité découlant d’un droit qui n’a pris naissance que parce qu’il ne pouvait pas travailler. Ainsi, à moins d’indication contraire dans le contrat de travail, l’employé ne peut recevoir les deux montants à la fois. 

Dans ce dossier (Sylvester), les cotisations au régime d’assurance étaient assumées entièrement par l’employeur. Bien que la Cour suprême ait précisé qu’elle ne tranchait pas la question de savoir ce qu’il advenait lorsque l’employé cotise également au régime, l’approche subséquente et usuelle des tribunaux québécois a été de déduire du montant de cette indemnité de fin d’emploi reçue le montant des prestations correspondant à la portion du financement effectué par l’employeur. C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé le juge de la Cour supérieure dans le jugement sous étude.

À titre d’exemple, s’il était en preuve que l’employeur contribuait au régime d’assurance à 80%, alors 80% des sommes reçues à titre de prestations d’invalidité était déduit par le juge de l’indemnité de délai de congé accordée. 

Il semble donc que l’article 1608 de notre Code civil distingue le Québec du reste du Canada sur cette question.

Selon la Cour d’appel du Québec, les prestations d’invalidité reçues par l’employé suivant sa fin d’emploi ne doivent pas être déduites de l’indemnité afférente au délai de congé raisonnable versée, et ce, peu importe qui contribue au régime et dans quelle proportion. 

À ce jour, nous ne sommes pas au courant si le jugement sous étude a fait l’objet d’une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, les parties ayant jusqu’au 1er novembre 2022 pour ce faire. 

Nous resterons évidemment à l’affût et vous tiendrons informés de tout développement en lien avec cette affaire. 

Caisse populaire Desjardins de Saint-Raymond — Sainte-Catherine c.
Girard, 2022 QCCA 1171