Les faits

Une agente à la clientèle pour Air Canada exerce ses fonctions de son domicile, en télétravail. Au cours de sa pause-dîner, elle perd pied et chute dans l’escalier de sa résidence. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») reconnaît que les blessures subies par l’agente constituent une lésion professionnelle selon la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »).

En désaccord avec les conclusions de la CNESST, l’employeur soutient que la chute subie par la travailleuse n’est pas survenue à l’occasion du travail, puisque cette dernière se trouvait dans sa sphère d’activités personnelles et qu’il n’existe pas de lien entre l’activité d’aller dîner et son travail. Il allègue également qu’au moment de la chute, la travailleuse n’était pas rémunérée. L’employeur soutient qu’il ne possède pas de contrôle sur la tenue des lieux ni sur les autres activités exercées par la travailleuse une fois qu’elle se déconnecte de son ordinateur. 

Inversement, la travailleuse affirme que sa chute constitue un événement imprévu et soudain, survenu à l’occasion du travail, puisque la pause-dîner est une activité de confort offerte par l’employeur.

La décision

Le Tribunal administratif du Travail (le « Tribunal ») doit donc déterminer si la chute de la travailleuse dans sa résidence alors qu’elle se rend à sa pause-repas constitue un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail. 

Le Tribunal soutient que lorsqu’un travailleur exerce ses fonctions en télétravail, la demeure privée devient alors le lieu de travail. Par ailleurs, la LATMP ne prévoit pas de cadre d’analyse distinct quant à l’existence d’un événement imprévu et soudain pour ce type de situation.

Ainsi, afin de déterminer si un événement imprévu et soudain est survenu dans le cadre ou à l’occasion du travail, le Tribunal examine les critères suivants :

  • le lieu de l’événement ;
  • le moment de l’événement ;
  • la rémunération de l’activité exercée par le travailleur au moment de l’accident ;
  • l’existence et le degré d’autorité de l’employeur ou le lien de subordination du travailleur ;
  • la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement, qu’elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail ; et
  • le caractère de connexité ou d’utilité relative de l’activité du travailleur en regard de l’accomplissement du travail.

Le Tribunal mentionne que ces critères sont déterminants, car même si les transitions entre les sphères professionnelle et personnelle sont plus fréquentes en télétravail, la travailleuse doit bénéficier de la même protection que celle dont elle aurait bénéficié si elle avait exécuté ses fonctions dans l’établissement de l’employeur.

Le Tribunal retient qu’au moment de l’événement, la travailleuse se trouve à son domicile afin de remplir ses obligations professionnelles, selon un horaire précis et déterminé par l’employeur. Durant son quart de travail, l’employeur lui permet de prendre une pause-dîner. Cette pause fait donc partie de l’organisation du travail, préalablement déterminée par l’employeur.

En conséquence, le Tribunal détermine que la chute de la travailleuse, survenue quelques instants après s’être déconnectée de son poste de travail, constitue un événement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail. Les blessures subies par la travailleuse constituent donc une lésion professionnelle selon la LATMP.

Référence : Air Canada et Gentile-Patti (T.A.T., 2021-12-03), 2021 QCTAT 5829, SOQUIJ AZ-51814939 

Conseils pratiques

Cette décision rappelle que la protection prévue à la LATMP s’applique également au travailleur qui effectue ses fonctions en télétravail. 

La pandémie liée à la COVID-19 a accéléré et augmenté de façon exponentielle le recours au télétravail dans de nombreuses organisations. Or, afin d’éviter ou de limiter les risques de lésions professionnelles, nous recommandons aux employeurs d’exercer des vérifications quant à l’environnement de travail des employés en télétravail.

Par exemple, l’employeur peut s’assurer que l’espace du domicile réservé aux activités professionnelles d’un travailleur est ergonomique et adapté à l’exécution du travail. Pour ce faire, l’employeur peut notamment demander que des photos de l’espace de travail lui soient transmises, une vidéo de celui-ci ou même procéder à une visite virtuelle de cet espace via Teams, Facetime ou Zoom.

Bien sûr, cet exercice de vérification doit respecter le droit à la vie privée des travailleurs en cause. Ces visites virtuelles, ces photos ou ces vidéos, si elles sont requises, doivent être nécessaires pour permettre à l’employeur de s’assurer qu’il rencontre ses obligations légales en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses employés. 

Il est recommandé à cet égard que les employeurs qui offrent la possibilité à leurs employés d’effectuer du télétravail adoptent une politique à l’intérieur de laquelle les questions liées à l’espace de travail et à la façon de procéder aux vérifications appropriées de celui-ci soient énoncées.

De plus, une telle politique devrait rappeler aux travailleurs qu’ils ont la responsabilité d’informer leur employeur en cas d’accident ou de blessure, afin que ce dernier puisse réagir rapidement, au besoin.