Si la démission d’un employé peut entraîner différents problèmes sur le plan de la gestion des opérations et nécessiter la mise en place d’un processus de recrutement en vue de pourvoir au poste nouvellement vacant, cette même démission peut aussi être, en elle-même, une source de conflits. En effet, il arrive fréquemment qu’un employé, excédé par l’emploi qu’il occupe ou par une situation particulière, en démissionne sur le coup de l’émotivité. Qu’arrive-t-il s’il change ensuite d’idée et désire poursuivre la relation d’emploi ? Ou encore, comment composer avec un employé qui soutient ne jamais avoir démissionné de son emploi ? Voici certaines des questions auxquelles nous apporterons des pistes de solution.
Les critères de validité d’une démission
Avant de se questionner sur la validité d’une démission, il convient d’abord d’en rappeler les critères. Un juge de la Cour du Québec soulignait récemment les principales caractéristiques d’une démission, telles que définies en doctrine :
« À ces fins, on reconnaît qu’il y a démission effective lorsque :
- la décision de quitter l’emploi est celle clairement manifestée par le salarié et directement adressée à l’employeur ;
- l’acte est volontaire, c’est-à-dire librement fait par le salarié disposant alors de toutes ses facultés mentales, ce qui exclut nécessairement tout geste de précipitation survenu dans un climat d’émotivité extrême ;
- son expression est claire, bien qu’elle puisse s’inférer de ses gestes et comportements tels le refus de répondre à un rappel précis de retour au travail après une mise à pied ou un congé alors que le sens d’un tel silence lui fut préalablement notifié ou est prévu au contrat, à la convention ou à la loi ou encore, l’acceptation d’un emploi chez un autre employeur et qui serait incompatible en raison des contraintes de temps ou de la nature respective des deux postes ;
- le comportement ultérieur du salarié relève normalement et manifestement d’une démission[1]. »
[caractères gras ajoutés]
Il ressort essentiellement de ces critères que la démission, pour être valide, doit être clairement manifestée à l’employeur et que cette manifestation doit être faite volontairement, c’est-à-dire de façon libre et éclairée. Cette démission pourra également s’inférer du comportement d’un employé, lequel sera réputé avoir démissionné de son emploi si celui-ci agit de telle sorte qu’une personne raisonnable conclurait qu’il a abandonné son emploi.
Nous aborderons dans les prochaines lignes certaines des situations potentiellement litigieuses associées à la démission d’un employé.
Démission ou congédiement verbal – L’employé a-t-il vraiment démissionné ?
La Commission des relations du travail était récemment saisie d’une affaire[2] où chacune des parties affirmait une chose et son contraire relativement aux circonstances de la fin d’emploi. En effet, l’employé plaignant affirmait s’être présenté au travail au lendemain d’une absence d’un jour non autorisée et avoir été congédié sur-le-champ, à l’arrivée de son supérieur. D’autre part, l’employeur soutenait essentiellement qu’à son arrivée sur son lieu de travail, l’employé lui avait clairement mentionné qu’il ne désirait plus travailler pour lui, qu’il démissionnait et qu’il exigeait son relevé d’emploi sur-le-champ. Notons qu’aucun des deux témoins de la scène n’était disponible pour confirmer les dires de l’un ou de l’autre.
La preuve présentée par chacune des parties étant essentiellement faite par témoignage, le juge administratif a dû apprécier la crédibilité de chacun de ceux-ci afin de trancher si le plaignant avait effectivement démissionné ou s’il avait fait l’objet d’un congédiement. La version des faits du représentant de l’employeur étant plus détaillée, c’est celle-ci qui fut retenue par le juge administratif.
Il peut en effet arriver qu’un employé démissionne verbalement et refuse de mettre par écrit cette démission. L’employeur se trouve alors dans une certaine position de vulnérabilité en cas de remise en question de cette démission. Il est, en de telles circonstances, essentiel de recueillir de façon écrite la version des ou du témoin de la démission manifestée par l’employé. Aussi, il est important de noter l’ensemble des gestes posés par le salarié qui seront susceptibles de confirmer cette intention de démissionner. Tel sera le cas, par exemple si l’employé remet ses clés ou sa carte d’accès, fait ses « dernières salutations », rend son matériel de travail à l’employeur, etc. Une version des faits écrite et contemporaine aux événements permettra à l’employeur de solidifier sa preuve.
La démission d’un employé sous le coup de la colère – Une décision révocable ?
Il est fréquent qu’un employé sous le coup de l’émotivité, remette en question son désir de poursuivre sa relation d’emploi avec son employeur. Qu’en est-il lorsqu’un employé, par exemple sous l’emprise de la colère contre son employeur, lui remet sa démission ? En application des principes précédemment mentionnés, cette décision sera-t-elle libre et volontaire ? Il s’agira évidemment d’apprécier les circonstances de chaque affaire afin de déterminer si l’employé était ou non dans un état tel qu’il pouvait démissionner en toute connaissance de cause.
En de telles circonstances, les critères développés dans la jurisprudence arbitrale ont été appliqués par certains juges administratifs à la Commission des relations du travail. Un de ceux-ci a appliqué en effet ces critères dans une affaire où un salarié avait effectivement donné sa démission sous le coup de la colère, mais selon le juge, de façon libre et éclairée. Celui-ci s’exprimait ainsi :
« [91] Dans une autre décision (Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 503 c. Bégin et Olivier inc., D.T.E. 91T-1197, 9 août 1991), l’arbitre […] résume ainsi les principes applicables lorsque l’élément subjectif de la démission a été exprimé sous le coup de la colère ou de l’émotion. Il écrit :
- l’intention de démissionner peut avoir été viciée au motif qu’elle a été exprimée sous le coup de la colère ou de l’émotion ;
- on ne peut toutefois formuler une règle générale à l’effet que dans tous les cas où l’intention de démissionner a été exprimée sous le coup de la colère ou de l’émotion, cette intention est nécessairement viciée ;
- ce qui importe c’est de rechercher l’intention véritable du salarié lorsqu’il exprime cette intention ce que les arbitres canadiens qualifient de “true intent” ou de “continuing intent”;
- afin de découvrir l’intention véritable du salarié, l’arbitre doit regarder les autres faits de l’affaire afin d’établir un fondement plus objectif à l’intention exprimée ;
- les faits qu’il importe d’examiner sont ceux survenus après la colère ou l’émotion ressentie par le salarié ;
- un fait survenu au moment où le salarié était sous l’emprise de la colère ou de l’émotion ne peut confirmer une intention de démissionner elle-même exprimée sous le coup de la colère ou de l’émotion ;
- [92] Il se dégage aussi de la jurisprudence étudiée par cet arbitre que seul un acte positif posé une fois passé la colère ou l’émotion, c’est-à-dire lorsque le salarié a repris ses sens, peut permettre de confirmer une volonté de démissionner exprimée sous le coup de la colère ou de l’émotion. »
[notre emphase]
Il est important de souligner l’importance du deuxième critère mentionné plus haut, soit qu’une démission manifestée sous le coup de la colère n’implique pas nécessairement que l’intention de la salariée soit viciée. En effet, comme c’était le cas dans la décision Provost et 131427 Canada inc.[3], bien qu’un salarié puisse réagir fortement aux décisions de l’employeur, une telle réaction ne viciera pas le consentement dans tous les cas. Dans cette dernière décision, la salariée avait décidé de mettre fin à une rencontre, ramassé ses affaires, lancé des invectives à ses supérieurs et quitté son emploi. De l’avis du juge administratif, l’employeur n’avait aucunement recherché la démission de la salariée, et la décision de celle-ci, bien que dans un état de colère, n’était pas vicié. La démission était donc libre et volontaire.
Aussi, selon la jurisprudence, l’employeur devra être attentif au comportement de l’employé observé à la suite de sa démission. Ce comportement devrait être apprécié à la lumière du comportement adopté au moment même de la démission. En effet, en cas de remise en question de la démission de l’employé, l’employeur devra déterminer si celle-ci a été manifestée de façon libre et volontaire et si l’employé désire réellement réintégrer son emploi ou simplement limiter les dégâts liés aux gestes posés. Le temps écoulé entre la démission et sa remise en question constituera un élément important à considérer dans la décision à prendre par l’employeur de réintégrer ou non le salarié dans son emploi. Dans certains cas, principalement si un doute demeure quant à l’intention du salarié, l’employeur pourra lui demander de préciser son intention et même lui proposer de revenir au travail. À cette occasion, il sera préférable de préciser au salarié qu’une absence de réponse sera considérée comme l’abandon de son emploi, soit une démission.
La majorité des litiges répertoriés en cas de démission sont associés à la remise en question de la volonté réelle de l’employé de quitter son emploi. En effet, beaucoup d’employés agissent sous le coup de l’émotivité pour, une fois qu’ils sont remis de leurs émois, revenir sur leur position. Il peut être préférable, en de telles circonstances, de discuter avec l’employé, de lui permettre de prendre le temps de penser à sa décision et de confirmer le tout par écrit dans les jours suivants. Aussi, comme dans plusieurs situations, la prise de notes contemporaines aux événements par les différents témoins facilitera la compréhension de tous, y compris du tribunal, des circonstances entourant la démission.
Source : VigieRT, mai 2013.
1 |
Marier c. Centre de la petite enfance Gros Bec, 2013 QCCQ 3933, citant Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE et Dominic ROUX, Le droit de l’emploi au Québec, 2006, Wilson & Lafleur, 1780 p. |
2 |
Gabriel c. Chapiteaux Laval inc., 2013 QCCRT 0192. |
3 |
2002 QCCRT 0046. |