Introduction

Le Code civil du Québec prévoit que chacune des parties à un contrat de travail à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé en autant qu’il soit raisonnable, tenant compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. 

Cet article a donné naissance à une jurisprudence diversifiée permettant l’analyse de ce que constitue un délai de congé raisonnable en faveur d’un employé à la suite de la terminaison de son emploi par l’employeur.

Or, en comparaison, moins nombreux sont les scénarios inverses, c’est-à-dire les décisions où l’employeur réclame un délai de congé raisonnable par suite de la démission d’un employé. En effet, quelles sont les différentes circonstances permettant à l’employeur d’obtenir une indemnisation en vertu de l’article 2091 C.c.Q. ?

La récente décision Ethica Clinical Research inc. c. Le Gall, 2015 QCCQ 3708, nous éclaire à ce sujet. 

Les faits

Ethica Clinical Research inc. est une entreprise offrant des services de recherche aux entreprises oeuvrant notamment dans le domaine pharmaceutique. 

M. Le Gall a été au service de l’entreprise pendant environ six ans avant de démissionner. Il occupait le poste de directeur de la biométrie et gagnait un salaire annuel de 90 000 $. Les faits de l’affaire permettent de comprendre que cet employé jouait un rôle clé au sein de l’entreprise.

M. Le Gall remet sa démission le 25 avril 2012. Dans sa lettre, il donne une semaine de préavis travaillé à son employeur. Ce dernier lui demande alors deux semaines supplémentaires pour un total de trois semaines, ce que M. Le Gall refuse. 

En raison de cet avis trop court, l’employeur n’est pas en mesure de livrer certains services à ses clients dans les délais prévus. Il doit également retenir les services de consultants externes, à la dernière minute, pour poursuivre ses opérations. 

Compte tenu de ce départ intempestif, l’employeur dépose un recours devant la Cour du Québec contre M. Le Gall. Il lui réclame l’attribution de dommages-intérêts au montant de 24 567,69 $, basés sur l’octroi d’un délai de congé raisonnable de 10 semaines, l’abus dans l’exercice du droit de résiliation du contrat de travail ainsi que le défaut de l’employé d’avoir exécuté son travail avec prudence, diligence et loyauté durant la période couverte par le délai de congé. 

La décision du juge

Le tribunal encadre son analyse en fonction des trois questions suivantes : 

1. Est-ce que M. Le Gall a donné un préavis raisonnable à son employeur avant de démissionner ? 

2. Est-ce que M. Le Gall a fait preuve d’abus dans l’exercice de son droit de résilier son contrat de travail ? 

3. Est-ce que M. Le Gall a exécuté son travail avec prudence, diligence et loyauté durant la période couverte par le délai fourni à l’employeur ?

1. Le délai de congé de cinq jours ouvrables 

Le tribunal reprend plusieurs critères suggérés par la partie demanderesse au soutien de sa réclamation de 10 semaines de préavis : la nature de l’emploi, le salaire de M. Le Gall, les responsabilités rattachées à son emploi, ses années de service au sein de l’entreprise, la difficulté à recruter pour le poste occupé par M. Le Gall, la spécialisation de l’emploi, le temps nécessaire à la formation, le travail de remplacement nécessaire dû à l’absence de M. Le Gall, le coût relié à la faible productivité du service de la biométrie et le rapport de force entre l’employeur et l’employé.

Le tribunal, sans préciser lesquels des facteurs ci-dessus sont prépondérants, indique que le préavis de cinq jours ouvrables donné par M. Le Gall à son employeur avant de quitter son emploi est insuffisant. Selon la Cour, M. Le Gall aurait dû lui offrir trois semaines, telles que l’employeur l’avait demandé. 

2. L’abus dans l’exercice de son droit de résilier son contrat de travail

Le tribunal souligne l’application des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. dans le cadre de son analyse du comportement de l’employé. Il conclut au comportement répréhensible de M. Le Gall. 

Notamment, la preuve révèle qu’il savait que le deuxième employé sénior du secteur était lui-même en vacances au moment où sa démission devenait en vigueur et qu’un autre employé clé était également absent, au même moment, ce qui plaçait l’employeur dans un embarras important pour la poursuite de ses activités. En effet, il lui devenait alors impossible, dans ces circonstances, de procéder à un transfert de connaissances. 

Par conséquent, l’employeur se voit donc octroyer une somme de 1 500 $ pour troubles et inconvénients. 

3. L’exécution du travail avec prudence, diligence et loyauté durant la période couverte par le délai de congé 

Mentionnant succinctement les témoins de l’employeur, le tribunal retient que l’employé a adopté une attitude conflictuelle au cours de la durée de son délai de congé, indigne d’un poste de cadre. Il accorde donc à l’employeur à cet égard des dommages de 1 000 $. 

Le tribunal ne précise toutefois pas de quelle façon s’est matérialisée cette attitude. 

Commentaire

Compte tenu des critères élaborés et présentés par l’employeur ainsi que les délais qui semblaient se dégager des témoignages d’autres cadres de l’entreprise, le juge aurait pu convenir d’un préavis plus long que trois semaines. Il s’est arrêté sur ce chiffre, car il s’agissait du nombre de semaines qu’avait demandé l’employeur à M. Le Gall lors de leurs communications, avant que ce dernier parte. 

Nous soulignons par ailleurs que cette décision rappelle qu’il peut être judicieux pour un employeur de prévoir dans le contrat de travail une clause de préavis spécifique en cas de démission, pour les employés jouant un rôle essentiel au sein de l’entreprise.

En ce qui concerne l’obligation de loyauté d’un employé, celle-ci persiste « même après que l’une des parties au contrat de travail à durée indéterminée a donné un délai de congé à son cocontractant »(Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51), chaque partie demeurant tenue de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai. 

La décision rendue dans cette affaire reconnaît l’importance du respect des obligations par les parties tout au long de la durée du délai de congé. Le tribunal tient l’employé démissionnaire responsable, le cas échéant, de tout manquement à l’égard de son obligation de prudence, diligence et loyauté durant la période couverte par ce délai. 

À notre avis, le tribunal a effectué une bonne analyse en tenant l’employé responsable quant à sa faculté de résiliation et le respect de ses obligations au cours de la durée du délai de congé. 

Conclusion

La décision commentée est intéressante en ce qu’elle rappelle que l’employeur peut revendiquer un préavis raisonnable de démission à ses employés, lorsqu’un préavis trop court lui cause préjudice. 

Également, elle met en garde les employés en ce qui concerne leurs agissements pendant la période couverte par le préavis travaillé qu’ils donnent à leur employeur. La relation d’emploi se poursuit jusqu’à la dernière journée de travail, y incluant les obligations qui se rattachent à celle-ci.