Le 21 mars 2024 marquait une étape importante dans le renforcement des mesures de protection contre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel au travail avec l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi n° 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (le « PL-42 »). Ce projet de loi, présenté en novembre 2023 par le ministre du Travail Jean Boulet et sanctionné le 27 mars dernier, représente une avancée majeure dans la lutte contre les comportements préjudiciables en milieu professionnel.
Cette initiative législative entend répondre à des préoccupations profondes au sein de la société québécoise. À titre d’illustration, une enquête effectuée en 2020[1] révélait que près d’un individu sur deux avait été confronté, directement ou à titre de témoin, à des actes de nature sexualisée ou discriminatoire au travail. Dans cette optique, le PL-42 procède à des modifications substantielles dans le domaine du droit du travail et de l’emploi, renforçant le régime juridique existant afin de mieux protéger les droits des travailleurs et garantir un environnement de travail sécuritaire et respectueux.
Le PL-42 vise non seulement à prévenir les comportements répréhensibles, mais aussi à offrir des mécanismes de recours et de soutien efficaces aux victimes. Son objectif principal est de mettre en place une structure législative permettant d’éradiquer le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel, et de promouvoir une culture de respect mutuel dans tous les secteurs d’activité.
Modification à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles
Le PL-42 introduit des modifications substantielles à diverses dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »), simplifiant le processus de réclamation des travailleurs et renforçant la confidentialité et le soutien juridique en leur faveur.
Tout d’abord, le PL-42 instaure deux (2) présomptions qui ont pour effet d’alléger le fardeau de preuve qu’un travailleur doit remplir afin de faire reconnaître une lésion professionnelle découlant d’une violence à caractère sexuel. La première présomption prévoit qu’une blessure ou une maladie d’un travailleur est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail si elle résulte d’une violence à caractère sexuel commise par son employeur, l’un des dirigeants ou l’un des travailleurs de l’employeur. La seconde présomption prévoit que la maladie d’un travailleur qui survient dans les trois mois après que ce dernier a subi de la violence à caractère sexuel sur les lieux du travail est présumée être une lésion professionnelle[2]. Ces présomptions permettent ainsi aux travailleurs de faire valoir leurs droits plus aisément.
Ensuite, le PL-42 met en place des restrictions relativement au partage d’informations entre les professionnels de la santé et les employeurs relativement au dossier médical d’un travailleur. Les échanges d’informations seront désormais limités aux éléments essentiels, permettant uniquement à l’employeur de recevoir un résumé et un avis lui permettant d’exercer ses droits[3]. Notons que des amendes de 1 000 $ à 5 000 $ pour les professionnels de la santé qui contreviendraient à cette disposition sont également prévues[4].
Par ailleurs, le PL-42 étend la période pendant laquelle les travailleurs peuvent déposer une réclamation auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») de six mois à deux ans pour les cas de violence à caractère sexuel[5].
Enfin, le PL-42 prévoit que si le Tribunal administratif du travail estime qu’une lésion professionnelle est probablement due au harcèlement et qu’il réserve sa décision, le délai pour entreprendre des démarches légales débute à la date de cette décision, à condition qu’aucune réclamation ou notification n’ait été précédemment soumise à la CNESST pour cette même lésion[6].
Modifications à la Loi sur les normes du travail
Le PL-42 modifie également la Loi sur les normes du travail (la « L. n. t. »), augmentant ainsi les obligations en matière de prévention et de gestion du harcèlement psychologique en milieu de travail.
Le PL-42 élargit les obligations de l’employeur en matière de prévention et de gestion du harcèlement afin qu’il prenne désormais tous les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique provenant de toute personne, incluant les clients et les fournisseurs, et pour la faire cesser lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance[7].
Le PL-42 prévoit largement le contenu minimal de la politique de prévention du harcèlement psychologique que les employeurs doivent élaborer et rendre accessible. La politique doit dorénavant comprendre une série d’éléments, à savoir :
- Les méthodes utilisées pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique ;
- Les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement ;
- Les recommandations quant aux conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail ;
- Les modalités pour faire une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour en prendre charge ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donné par l’employeur ;
- Les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement portant sur une telle situation ;
- Le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête effectuée par l’employeur ;
- Les mesures visant à assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu ainsi que le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, lequel doit être d’au moins deux (2) ans[8].
Notons que cette politique fait désormais partie intégrante du programme de prévention ou du plan d’action que l’employeur doit mettre en place en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[9].
En outre, le PL-42 élimine la possibilité d’inclure des clauses d’amnistie aux conventions collectives pour les comportements violents au travail, assurant ainsi que les antécédents disciplinaires liés à la violence (physique, psychologique, ou sexuelle) ne peuvent être ignorés lors de l’application de sanctions pour des faits similaires[10]. Cette modification a pour effet de permettre à l’employeur d’avoir recours à la gradation des sanctions en cas de récidive d’un salarié.
Finalement, une nouvelle protection contre les représailles est ajoutée pour les employés signalant une situation de harcèlement psychologique ou participant à la gestion d’une plainte[11]. Ce renforcement de la protection des personnes salariées vise à encourager la dénonciation du harcèlement et à soutenir les victimes ainsi que les témoins dans leurs démarches.
Modification au Code du travail
Le PL-42 apporte également des modifications au Code du travail (le « C.t. »), notamment en instaurant une exigence de formation spécialisée pour les arbitres tranchant des griefs liés au harcèlement psychologique, tel que défini par la L. n. t.[12]. Cette formation portera sur la violence à caractère sexuel, visant à doter les arbitres des compétences et de la compréhension nécessaires pour aborder ces cas sensibles et complexes avec la délicatesse requise.
De plus, le PL-42 permet une plus grande souplesse dans le cadre du processus d’arbitrage de ces griefs. Les arbitres auront désormais la capacité, de leur propre chef ou à la demande d’une des parties au litige, de convoquer celles-ci pour procéder à l’audition du grief[13]. Cette approche permet une gestion plus efficace des griefs en assurant une réponse adaptée à chaque situation.
Entrée en vigueur et mesures transitoires
La majorité des dispositions prévues par le PL-42 sont entrées en vigueur à la date de sa sanction, soit le 27 mars 2024.
Les modifications à LATMP portant sur les nouvelles présomptions allégeant le fardeau de preuve du travailleur, le partage d’informations aux professionnels de la santé relativement au dossier médical du travailleur ainsi que le délai pour déposer une réclamation auprès de la CNESST entreront en vigueur, pour leur part, le 27 septembre 2024.
Les employeurs auront également jusqu’à cette date pour se conformer aux nouvelles exigences relatives à leur politique de prévention et de prise en charge du harcèlement psychologique au travail.
L’exigence voulant que cette politique fasse partie intégrante du programme de prévention ou du plan d’action de l’employeur en vertu de la LSST entrera en vigueur à une date fixée par le Gouvernement, au plus tard le 6 octobre 2025. Notons qu’il s’agit du même délai d’entrée en vigueur que certaines dispositions de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail portant sur le programme de prévention et le plan d’action[14].