Dans un arrêt récent[1], la Cour d’appel du Québec a tranché sur la responsabilité pénale d’un employeur dans le cadre d’un accident de travail ayant entraîné le décès d’un employé.
Cet arrêt revisite les critères applicables à la négligence criminelle sous le prisme des responsabilités de l’employeur, soulignant l’importance d’adopter des mesures préventives adéquates. Il rappelle également la nécessité pour les organisations de respecter scrupuleusement les normes de sécurité pour protéger leurs employés.
Contexte de l’affaire et faits pertinents
Le 11 septembre 2012, un camionneur avec 25 ans d’expérience a été impliqué dans un accident mortel alors qu’il conduisait un camion lourd porte-conteneurs appartenant à l’employeur. Chargé à près de sa pleine capacité, le véhicule s’est renversé dans le virage d’une pente descendante en gravier, un drame largement attribué à d’importantes défaillances du système de freinage.
En 2019, la Cour du Québec[2] a établi la culpabilité de l’employeur pour négligence criminelle entraînant le décès du camionneur, reposant essentiellement sur l’insuffisance d’entretien du véhicule. Cette défaillance a été attribuée au superviseur-mécanicien de l’organisation, désigné par la Cour comme un « cadre supérieur » selon le Code criminel. Cette qualification s’appuie sur ses rôles et obligations, incluant la supervision du garage de l’employeur, avec une autorité complète sur la maintenance et les réparations requises, ainsi que sur la gestion des coûts associés[3].
Selon la Cour, le niveau de négligence de l’employeur a été jugé extrêmement grave, bien au-delà de ce qui serait attendu d’une personne raisonnable dans des circonstances similaires. À cet égard, la Cour a souligné l’existence de quatorze (14) défauts majeurs liés au système de freinage du véhicule accidenté.
L’employeur s’est vu imposer une amende de 300 000$, majorée d’une amende additionnelle compensatoire de 15%, et il a été soumis à une période de probation de trois (3) ans, assortie de conditions précises.
Objectif du législateur
Dans cette affaire, la Cour d’appel retrace l’arrière-plan historique qui a conduit à l’ajout d’une disposition légale au Code criminel visant à réguler la responsabilité des organisations en cas de décès et de blessures corporelles sur le lieu de travail.
En 2003, l’adoption de la Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations), communément appelée le Projet de loi C-45, marque un tournant dans la législation canadienne en instaurant un cadre juridique spécifique pour la responsabilité pénale des entreprises. Cette évolution législative s’inscrit dans la foulée de tragédies, notamment l’accident de la mine Westray en 1992, qui ont mis en lumière les lacunes du cadre juridique existant pour traiter de la négligence criminelle dans les milieux de travail.
L’objectif poursuivi par le législateur était double : renforcer la sécurité des travailleurs en imposant des obligations plus strictes aux organisations et à leurs cadres supérieurs, et permettre une imputabilité pénale plus efficace en cas de manquements ayant entraîné des blessures graves ou des décès. Cette Loi souligne l’importance de la diligence raisonnable, non seulement au niveau des opérations quotidiennes, mais aussi dans la mise en place de politiques de prévention des risques.
En conséquence, elle établit un cadre légal clair pour la responsabilité pénale des organisations, en mettant particulièrement l’accent sur le rôle et les actions des cadres supérieurs dans la prévention des accidents.
La portée de la notion de « cadre supérieur »
Dans son arrêt, la Cour d’appel adopte une interprétation inclusive et pragmatique de la notion de « cadre supérieur », en regard à la responsabilité pénale des organisations. Cette analyse étend la compréhension traditionnelle des cadres supérieurs au-delà des titres pour se concentrer sur les fonctions réelles et l’influence exercée au sein de l’entreprise.
La Cour souligne que la qualification de « cadre supérieur » ne se limite pas aux positions hiérarchiques élevées, mais s’étend à toute personne ayant un rôle significatif dans la prise de décisions ou la gestion des activités susceptibles d’affecter la sécurité et la santé des travailleurs.
En pratique, cela signifie que la responsabilité peut incomber à des individus occupant divers niveaux de gestion, pourvu qu’ils possèdent l’autorité de diriger et d’influencer les pratiques de sécurité. Cette interprétation vise à s’assurer que la responsabilité ne peut être esquivée par des structures organisationnelles complexes, reflétant l’intention du législateur de promouvoir des environnements de travail sécuritaires et de responsabiliser les acteurs clés au sein des organisations.
Dans la présente affaire, la Cour a maintenu le verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, centrée sur l’entretien déficient du camion. Elle a souligné l’importance de l’obligation légale d’entretien ainsi que la responsabilité organisationnelle, en mettant l’accent sur la responsabilité directe des cadres supérieurs dans la gestion de la maintenance et de la sécurité des équipements.
[1] 2023 QCCA 1032.
[2] 2019 QCCQ 7449.
[3] À noter que la définition de « cadre supérieur » en vertu du Code criminel n’est pas la même qu’en vertu de la Loi sur les normes du travail.