Dans un arrêt rendu le 19 février 2024[1], la Cour d’appel réaffirme la portée de la notion « d’état civil », motif de discrimination prohibé à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte ») : cette expression ne comprend pas la « parentalité », l’ « état parental », la « situation de famille » ni la « situation parentale ».
Historique du dossier
Devant l’arbitre
Le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 (le « Syndicat »), dépose un grief alléguant notamment que certaines dispositions de la convention collective le liant à l’Employeur, le Réseau de transport de Longueuil, seraient discriminatoires et donc contraires à la Charte.
Entre autres choses, pour le Syndicat, les salariés en congé parental sont « discriminés » du fait qu’ils ne peuvent profiter de certains congés dits « d’assiduité. », alors que d’autres salariés qui s’absentent pour des raisons différentes peuvent par ailleurs en bénéficier.
Pour le Syndicat, la notion d’« état civil » contenue à l’article 10 de la Charte inclut la « parentalité » et la « situation parentale ». À cet égard, il s’appuie sur la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne, laquelle interprète l’« état civil » comme comprenant l’ « état parental ».
L’arbitre rejette le grief. Il retient notamment, à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord[2] (l’ « Arrêt SIISNEQ »), que la notion d’ « état civil » ne comprend pas « la situation parentale, l’état parental et, encore moins, le congé parental au rang des droits fondamentaux bénéficiant de la protection des chartes »[3]
Devant la Cour supérieure
Le Syndicat se pourvoit donc en révision judiciaire de cette sentence arbitrale. La Cour supérieure rejette la demande de révision au motif que la décision de l’arbitre est raisonnable.
Arrêt de la Cour d’appel
Devant la Cour d’appel, le Syndicat prétend notamment que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en appliquant l’Arrêt SIISNEQ.
Pour le Syndicat, le motif de discrimination fondé sur l’état civil prévu à l’article 10 de la Charte doit inclure la notion de « parentalité » ou celle de « situation parentale ». Le Syndicat avance qu’il existe une « jurisprudence contradictoire » entre la Cour d’appel et le Tribunal des droits de la personne sur cette question, et que l’arbitre aurait dû appliquer celle du Tribunal des droits de la personne.
La Cour d’appel rejette les prétentions syndicales pour différents motifs.
D’abord, la Cour d’appel rappelle qu’il n’existe pas de « jurisprudence contradictoire » quand la Cour d’appel se prononce sur une question bien précise et ce, même en présence de décisions à l’effet contraire d’un Tribunal, comme le Tribunal des droits de la personne. L’Arrêt de la Cour d’appel a alors clairement priorité. Au surplus, en l’espèce, l’Arrêt de la Cour d’appel retenu par l’arbitre (l’Arrêt SIISNEQ) a été traité par la suite dans d’autres arrêts qui ne l’ont par ailleurs jamais contredit.
Également, pour rejeter la prétention syndicale, la Cour d’appel retient le fait que lors des consultations publiques de 2018 concernant le projet de loi 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a proposé d’ajouter la « situation de famille » aux motifs de discrimination prohibés par la Charte. Or, le législateur n’a pas donné suite à cette demande.
[1] Syndicat de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, Cour d’appel, 19 février 2024.
[3] Id.