Le 19 septembre 2024, le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») a accueilli la demande d’ordonnance provisoire de l’entreprise Services JBL, représentée par Loranger Marcoux, de suspendre l’exécution de la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») de révoquer, de façon immédiate, son permis d’agence de placement de personnel.

Il s’agit d’une première, puisque le TAT n’avait jamais encore eu à analyser le Règlement dans un contexte de révocation de permis, soit en cours d’activités.

Mise en contexte

L’entreprise 9284 – 2442 Québec Inc., connue sous le nom de Services JBL Inc., exploite une agence de placement de personnel principalement dans le secteur alimentaire depuis plus d’une dizaine d’années.

Au début de l’année 2020, conformément aux nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») concernant les agences de placement de personnel, Service JBL adresse une demande de permis d’exploitation auprès de la CNESST et obtient le permis d’agence maintenant requis.

Ce permis, qui devait initialement faire l’objet d’un renouvellement à chaque deux ans en vertu du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement »), devient réputé délivré sans date d’expiration en avril 2024, à la suite du retrait de l’exigence de renouvellement[1].

Les faits

Au cours de l’été 2023, Services JBL fait l’objet d’une enquête par la CNESST, laquelle aboutit, six mois plus tard, à la réception de trois constats d’infractions en vertu de la LNT

Dans le cadre d’un règlement global intervenu avec la CNESST, Services JBL décide de plaider coupable à deux des constats d’infraction, soit un premier concernant la non-conformité, en partie, de sa politique HP, et un second concernant son défaut d’avoir transmis dans les délais certains des documents demandés par la CNESST à l’occasion de l’enquête. Quant au troisième constat, celui-ci est retiré par la CNESST.

Le 13 septembre 2024, après avoir reçu d’abord un préavis à cet effet, Services JBL reçoit une décision de la CNESST, par laquelle celle-ci révoque son permis d’agence avec effet immédiat pour une période de deux ans. Selon la CNESST, Services JBL ne respecterait plus les exigences de maintien du permis prévus au Règlement. Elle invoque plus précisément les deux motifs suivants au soutien de sa décision :

  • Conformément à l’article 11(5) du Règlement, Services JBL a été déclarée coupable d’infractions pénales qui, de l’avis de la CNESST, ont un lien avec l’exercice des activités pour lesquels le permis de placement de personnel a été demandé ;
  • Conformément à l’article 21(1) du Règlement, à titre de titulaire de permis, a omis d’aviser sans délai la CNESST, soit qu’elle a été déclarée coupable des infractions pénales décrites au premier motif ci-dessus.

Services JBL conteste cette décision dès sa réception et dépose, de façon concomitante par l’entremise de ses procureurs, une demande d’ordonnance provisoire visant à suspendre l’exécution de celle-ci — et donc visant à lui permettre de continuer à exploiter son entreprise — jusqu’à ce qu’une décision du TAT se prononce sur le fond de sa contestation. 

S’appuyant sur les critères pour l’émission d’une ordonnance provisoire, Service JBL invoque dans un premier temps avoir une apparence de droit à l’ordonnance recherchée, puisque l’article 11(5) du Règlement sur lequel s’appuie la CNESST pour révoquer son permis concerne des conditions de délivrance d’un permis (lors de la demande initiale), et non des exigences de maintien. En l’espèce, la déclaration de culpabilité étant survenue à l’été 2024 alors qu’elle détenait déjà son permis depuis quatre ans, l’article 11(5) ne peut s’appliquer :

11. La personne, société ou autre entité qui satisfait à l’ensemble des conditions prévues à l’article 10 peut toutefois se voir refuser la délivrance d’un permis, par la Commission, pour l’un des motifs suivants :

(…)

5° au cours des 5 années précédant la demande, à moins d’en avoir obtenu le pardon, elle a été déclarée coupable ou elle a été dirigeant d’une personne morale, société ou autre entité déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle qui, de l’avis de la Commission, a un lien avec l’exercice des activités pour lesquelles le permis est demandé ;

(nos soulignés)

Vu son interprétation de l’article 11(5) du Règlement, Services JBL prétend également qu’elle n’avait pas à aviser la CNESST des infractions pénales en vertu de l’article 21(1) du Règlement, contrairement à ce qu’elle lui reproche :

21. Le titulaire d’un permis doit :

1° aviser sans délai la Commission de toute modification à l’un ou l’autre des renseignements ou documents exigés pour la délivrance ou pour le maintien d’un permis ainsi que de tout changement dans sa situation susceptible d’affecter la validité du permis, notamment dans le cas d’un changement de répondant ;

(…)

(nos soulignés)

Elle ajoute qu’à tout événement, la CNESST était de facto avisée des condamnations pénales, ayant elle-même agi à titre de poursuivante contre Services JBL dans ces dossiers. À cet égard, c’est la CNESST elle-même qui a convenu des plaidoyers de culpabilité avec Services JBL, et c’est la CNESST elle-même qui a décidé de retirer le 3ième chef. Il était donc clair, pour Services JBL, que la CNESST était avisée des condamnations pénales !

Quant aux autres critères pour l’émission de l’ordonnance, soit celui du préjudice sérieux et irréparable et la prépondérance des inconvénients, Services JBL invoque qu’ils militent en faveur de l’ordonnance vu les conséquences importantes qu’entraîne la fermeture de son entreprise pour une période de deux ans, dans laquelle notamment la propriétaire et son mari travaillent pour nourrir et faire vivre leurs cinq (5) enfants, et le fait qu’elle ne représente pas un danger pour le public. Elle invoque finalement l’urgence d’agir vu l’effet immédiat de la décision. 

De son côté, la CNESST conteste la demande, invoquant notamment l’objectif du Règlement qui vise à protéger les salariés vulnérables.

La décision

Le TAT rappelle que l’objectif d’une telle ordonnance, lorsqu’elle est accordée, est de sauvegarder les droits des parties jusqu’à ce qu’une décision sur le fond de la contestation soit rendue. Le TAT précise toutefois avant de se pencher sur chacun des critères que, puisque la décision contestée a un effet immédiat selon le Règlement, la suspension de son exécution doit revêtir un caractère exceptionnel.

L’apparence de droit

Quant au premier motif de révocation du permis, le TAT retient que l’article 11(5) du Règlement peut effectivement contenir une ambiguïté du fait qu’il n’y ait pas explicitement fait mention que cette exigence s’applique au maintien du permis, contrairement à d’autres articles du Règlement. 

Services JBL n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation avant de demander son permis en 2020, il conclut que le Règlement requiert une interprétation qui pourrait potentiellement être favorable à Services JBL, et donc qu’elle a démontré une apparence de droit à l’ordonnance recherchée.

Le TAT conclu également à une apparence de droit au niveau de second motif de révocation avancé par la CNESST, soit le défaut de l’aviser des changements susceptibles d’affecter la validité de son permis (en l’occurrence sa condamnation aux infractions pénales), s’interrogeant sur la raisonnabilité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la CNESST compte tenu de son implication directe à titre de poursuivante dans ces dossiers…

Le préjudice sérieux et irréparable

Encore une fois, le TAT conclut que l’étude de ce critère milite en faveur de l’ordonnance.

Plusieurs facteurs sont pris en compte, incluant la perte soudaine d’emploi des salariés et travailleurs de l’entreprise, la perte de main-d’œuvre pour les entreprises clientes, ainsi que les répercussions économiques significatives pour les dirigeants de Services JBL.

La prépondérance des inconvénients

Le TAT considère que la prépondérance des inconvénients favorise également le prononcé de l’ordonnance demandée, puisque les droits et la sécurité du public ne sont pas compromis par le maintien du permis, contrairement à la révocation qui entraîne des conséquences dramatiques. 

Malgré les objectifs importants du régime de permis, le TAT retient que Services JBL ne représente pas un danger imminent pour le public, prenant en compte notamment la nature des manquements pénaux, le fait qu’il s’agissait de première offense, et le fait que Services JBL avait pris les moyens pour remédier à ses actes. 

Le TAT retient au surplus qu’il s’est écoulé plus de six mois entre la connaissance des manquements allégués par la CNESST et le dépôt des constats d’infraction contre Services JBL, ce qui visiblement démontre qu’il n’y avait pas de danger imminent pour le public à la laisser exploiter son agence.

Devant l’urgence

Compte tenu de l’effet immédiat tant de la décision de la CNESST que des conséquences potentiellement dramatiques qu’elle entraîne, le TAT conclut qu’il est urgent d’intervenir.

L’ensemble des conditions reconnues en matière d’ordonnance provisoire de suspension étant présentes, le TAT accorde l’ordonnance demandée. 

Commentaires des auteures

Pour Loranger Marcoux qui représentait Services JBL devant le TAT, il apparaît clair que les articles du Règlement sur lesquels s’est basée la CNESST ne permettaient pas la révocation du permis d’agence de l’entreprise.

Cela dit, il nous semble que l’ambiguïté du Règlement est telle que le TAT ne peut, à lui seul, y remédier. Il ne s’agit d’ailleurs pas de la première fois que le Règlement est remis en cause pour manque de clarté, voir à ce sujet l’affaire Association provinciale des agences de sécurité c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3952.

Il nous semble qu’il revient au législateur de revoir le Règlement, compte tenu des importantes conséquences qui peuvent en découler pour l’ensemble des parties prenantes.

Il sera intéressant de suivre cette affaire… Soyez assurés que nous vous tiendrons informés de la suite de ce dossier.

[1] 9284 – 2442 Québec inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2024 QCTAT 3381.

[2] La Loi modifiant diverses dispositions aux fins d’alléger le fardeau réglementaire et administratif est venue éliminer l’exigence de renouvellement en supprimant ce terme dans le Règlement et en le remplaçant à certains endroits par le terme « maintien ».