Le 8 octobre 2024, le gouvernement du Québec, sous la direction des ministres Jean Boulet et Christian Dubé, a adopté le Projet de loi 68 (le « PL-68 »), visant à réduire la charge administrative des médecins. L’objectif principal de ce projet de loi est de permettre aux médecins de se concentrer davantage sur les soins aux patients en limitant les formalités administratives.

Ceci étant dit, bien que cette réforme soit principalement axée sur l’amélioration du système de santé, elle aura aussi des répercussions importantes sur les employeurs. Ces derniers devront s’ajuster à de nouvelles obligations légales qui toucheront notamment la gestion de l’absentéisme, la conciliation travail-famille, ainsi que les régimes d’avantages sociaux.

Cet article a pour but de présenter les principales modifications apportées par le PL-68 et d’expliquer leurs impacts sur les employeurs, afin de les préparer aux ajustements à venir dans leurs pratiques.

Modification à la Loi sur les normes du travail

Les modifications introduites par le PL-68 à la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») apportent des restrictions quant à l’obligation pour les employés de fournir des pièces justificatives lors d’absences pour cause de maladie. En effet, l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 79.2 LNT interdira aux employeurs de demander un document justificatif, comme un certificat médical, pour les « trois premières périodes d’absence d’une durée de trois journées consécutives ou moins prises annuellement » [1].

Toutefois, les employeurs conservent le droit de demander un certificat médical lorsque l’absence se prolonge au-delà de trois (3) jours consécutifs ou si des soupçons d’abus, notamment en raison du caractère répétitif de l’absence, sont soulevés. 

Par ailleurs, une modification de l’article 79.7 LNT interdit désormais aux employeurs d’exiger un certificat médical pour justifier les absences liées aux obligations familiales ou parentales, par exemple les soins apportés à un enfant ou à un proche[2]. Un employeur pourra toutefois continuer d’exiger de la personne salariée, « si les circonstances le justifient eu égard notamment à la durée de l’absence, de lui fournir un document attestant des motifs de cette absence », à l’exception d’un certificat médical par contre.

En cas de non-respect de ces nouvelles dispositions, les sanctions déjà prévues par la LNT s’appliqueront, avec des recours possibles pour les employés qui subiraient des sanctions administratives ou disciplinaires découlant de l’exercice d’un de ces nouveaux droits.

Ces modifications à la LNT entreront en vigueur le 1er janvier 2025[3].

Modification à la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée

Les modifications ci-après visent principalement les assureurs et les administrateurs de régimes d’avantages sociaux, mais touchent également les employeurs qui gèrent eux-mêmes ces régimes. 

Tout d’abord, le PL-68 introduit de nouvelles restrictions pour les assureurs et les administrateurs de régimes d’avantages sociaux. En effet, ceux-ci ne pourront plus exiger de démarches médicales, telles qu’une consultation ou un suivi, par exemple, pour permettre à un employé de maintenir des prestations, notamment celles liées à l’invalidité, sauf dans les cas et aux conditions déterminés par règlement du gouvernement.[4]

L’article 5 du PL-68 introduit un nouvel article à la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée, soit l’article 29.1, lequel se lit comme suit :

« 29.1. Un assureur ou un administrateur de régime d’avantages sociaux ne peut, même indirectement, exiger d’un assuré, d’un adhérent ou d’un bénéficiaire qu’il reçoive un service médical aux fins suivantes, sauf dans les cas et aux conditions déterminés par règlement du gouvernement :

1° obtenir de cet assureur ou de cet administrateur qu’il rembourse ou assume autrement le coût des services d’un intervenant du domaine de la santé ou des services sociaux ;

2° obtenir de cet assureur ou de cet administrateur qu’il rembourse ou assume autrement le coût d’une aide technique ;

3° maintenir le versement de prestations d’invalidité.

Pour l’application du présent chapitre :

1° un assureur s’entend d’un assureur autorisé au sens de la Loi sur les assureurs (chapitre A-32.1);

2° un régime d’avantages sociaux s’entend d’un régime d’avantages sociaux non assurés, doté ou non d’un fonds, et qui accorde à l’égard d’un risque une protection qui pourrait être autrement obtenue en souscrivant une assurance de personnes. »

(Nos soulignés et caractères gras)

Concrètement, cela signifie entre autres choses que les employeurs-assureurs, via leurs régimes d’assurance collective ou d’avantages sociaux, ne pourront plus obliger un salarié à obtenir une consultation médicale uniquement dans le but de maintenir ses prestations d’invalidité. Nous comprenons par ailleurs que dans certains cas et aux conditions déterminées par règlement du gouvernement, il pourrait y avoir des exceptions.

Également, en vertu du PL-68, il ne sera pas possible d’exiger un service médical à une fréquence prédéterminée qui serait différente de celle déterminée par le médecin traitant du salarié, pour maintenir le versement d’une prestation d’invalidité (encore une fois, sous réserve de certains cas et aux conditions déterminées par règlement du gouvernement).

Par ailleurs, la clause d’un contrat d’assurance conclue avant l’entrée en vigueur du PL-68 peut être maintenue et opposable à l’assuré, à l’adhérent ou au bénéficiaire, et ce, jusqu’à la date qui précède celle du renouvellement ou de la prolongation de ce contrat[5].

Le PL-68 confère également à Santé Québec le pouvoir de surveiller la conformité des pratiques des assureurs et administrateurs de régimes d’avantages sociaux, en exigeant des rapports d’audit[6]. En outre, Santé Québec pourra procéder à des inspections sur place pour s’assurer que les pratiques des assureurs et administrateurs de régime respectent les nouvelles règles. Les inspecteurs auront également la possibilité de mener des enquêtes approfondies, semblables à celles réalisées par des commissions d’enquête[7].

Le non-respect de ces nouvelles dispositions pourra entraîner des sanctions administratives allant jusqu’à 5 000 $ pour tout manquement[8]. Plus encore, le nouvel article 29.13 prévoit des sanctions pénales très salées pour un assureur ou un administrateur de régime qui exigerait un service médical en contravention avec l’article 29.1. Il se lit comme suit :

« 29.13. L’assureur ou l’administrateur de régime d’avantages sociaux qui exige un service médical en contravention à l’article 29.1 est passible d’une amende de 10 000 $ à 1 000 000 $. »

(Nos soulignés et caractères gras)

Ces modifications sont entrées en vigueur à la date de la sanction du PL-68, soit le 9 octobre 2024[9].


Conseils pratiques aux employeurs

Bien que la réforme du PL-68 soit avant tout destinée à alléger la charge administrative des médecins, cette simplification aura des répercussions notables sur les employeurs en modifiant plusieurs pratiques administratives et de gestion des absences.

D’un point de vue pratique, l’une des mesures importantes mise en place est l’interdiction pour les employeurs d’exiger un certificat médical pour des absences d’une durée de trois (3) jours ou moins. Cette disposition peut certes alléger la pression sur les employés ; cependant, certains employeurs ont raison d’exprimer leurs inquiétudes quant à la planification de la main-d’œuvre, car ils perdront un outil permettant de vérifier rapidement l’état de santé de leurs employés et de mieux prévoir le retour au travail.

De plus, puisque le PL-68 prévoit que la fréquence des suivis médicaux pour les arrêts de travail de moyen ou long terme sera désormais déterminée uniquement par le médecin traitant, et non par les assureurs ou par tout autre expert médical au dossier, cela pourrait certes réduire les suivis médicaux jugés inutiles, mais cela pourrait également limiter la capacité des employeurs à planifier le retour progressif des travailleurs à travers des assignations temporaires ou d’autres types de mesures d’accommodement.

Voici quelques conseils pratiques pour anticiper ces changements : 

1. Ajustez vos politiques de gestion des absences :

Avec l’interdiction de demander des certificats médicaux pour les courtes absences, il sera possiblement nécessaire de réviser vos politiques internes portant sur la gestion de l’absentéisme. Il en est de même pour les employeurs qui sont assujettis à des conventions collectives qui prévoient le traitement de diverses absences.

Au surplus, comme mentionné précédemment, bien que les employeurs ne pourront plus exiger de certificat médical pour justifier les absences pour raisons familiales ou parentales, il sera toujours possible d’exiger d’autres formes de justifications, par exemple en lien avec des obligations liées aux services de garde ou aux établissements d’enseignement.

2. Évaluez les risques d’abus d’absentéisme :

Bien que le PL-68 impose de nouvelles restrictions aux employeurs, il serait intéressant de mettre en place des systèmes de suivi pour détecter les schémas d’absentéisme récurrents ou injustifiés de certains employés. Des outils peuvent aider à surveiller les absences et à intervenir de manière proactive si des comportements suspects apparaissent. 

3. Renforcez la collaboration avec vos assureurs et partenaires de santé :

Assurez-vous que vos partenaires d’assurance et administrateurs de régimes d’avantages sociaux sont bien alignés avec ces nouvelles exigences légales. Une collaboration efficace permet d’être conforme aux nouvelles règles et éviter les sanctions.

Bien sûr, nos professionnels sont disponibles pour répondre à vos questions concernant ces obligations et pour vous accompagner dans vos démarches afin de vous conformer aux nouvelles obligations introduites par le PL-68.

[1] Art. 8 PL-68.

[2] Art. 9 PL-68.

[3] Art. 13 PL-68.

[4] Art. 5 PL-68.

[5] Art. 11 PL-68.

[6] Art. 5 PL-68.

[7] Art. 5 PL-68.

[8] Art. 5 PL-68.

[9] Art. 13 PL-68.