Le ministre Jean Boulet entend faire adopter, dès le 12 novembre 2025, une loi lui permettant de devancer l’entrée en vigueur de la Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out (la « Loi 89 ») actuellement prévue pour le 30 novembre 2025. Cet empressement est motivé par le conflit de travail ayant cours à la Société de transport de Montréal.

La Loi 89 prévoit l’amendement du Code du travail en vue d’y ajouter deux mécanismes visant à limiter les impacts d’une grève sur la population dans tous les milieux de travail, publics et privés, (sauf exceptions) : 

  1. L’obligation pour les parties désignées par le ministre du Travail de maintenir des services minimaux assurant le bien-être de la population;
  2. Le pouvoir discrétionnaire du ministre du Travail de mettre fin à un conflit de travail en le déférant à l’arbitrage exécutoire.

Alors que le premier mécanisme vise à élargir le corridor d’intervention du Tribunal administratif du travail (le « TAT ») afin de déterminer les modalités d’exercice du droit de grève ou de lock-out dans des circonstances particulières, le deuxième vise à mettre fin à un conflit de travail lorsqu’il existe une menace d’un préjudice grave ou irréparable à la population. Voyons ce qu’il en est.

L’obligation de maintenir les services assurant le bien-être de la population

La Loi 89 prévoit la mise en place d’un régime visant la protection des services assurant le bien-être de la population lors de l’exercice d’une grève ou d’un lock-out. On entend par « services assurant le bien-être de la population » les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité. 

La Loi 89 vise donc à ce que soit considérée dans l’examen de la légalité d’une grève, ce que le ministre Boulet qualifie en débats parlementaires de « besoins fondamentaux » de la population, et non seulement le droit à la santé et à la sécurité publique, ce qui est présentement le cas sous l’égide des dispositions traitant du maintien des « services essentiels ».

À cette fin, la Loi 89 confère au gouvernement le pouvoir de désigner, par décret, un syndicat et un employeur à l’égard desquels le TAT pourra déterminer si des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out. L’ordonnance ainsi émise par le TAT s’applique pour la seule phase des négociations en cours.

La Loi ne prévoit aucun critère précis permettant de baliser le pouvoir discrétionnaire du gouvernement d’adopter ou non un décret. Le ministre Boulet a laissé savoir que l’exercice de ce pouvoir se fera après avoir consulté les personnes impliquées et en tenant compte de la nature et de la durée du conflit, de même que des impacts sur la population.

Après que le TAT ait rendu son ordonnance d’assujettissement, les parties disposeront d’un délai de sept (7) jours ouvrables francs pour négocier les services devant être maintenus durant le conflit. La Loi 89 octroie de larges pouvoirs au TAT dans la détermination des services à maintenir et la façon de les maintenir s’il juge l’entente entre les parties insuffisante.

Il est important de noter que la grève ou le lock-out se poursuit malgré la décision du TAT d’assujettir les parties au maintien des services minimaux, à moins de circonstances exceptionnelles. Dans un tel cas, le TAT peut suspendre l’exercice du droit de grève ou de lock-out jusqu’à ce qu’il puisse évaluer la suffisance des services.

La fonction publique est exclue de ce nouveau régime, de même que Santé Québec, ce qui comprend les établissements de santé au sens de la Loi sur la gouvernance du système de santé et de services sociaux. Les centres de services scolaires, les centres de la petite enfance (les « CPE ») et les CÉGEPS, pour ne nommer qu’eux, sont cependant visés.

Certains services publics telles les municipalités, les entreprises ambulancières et les résidences privées pour aînées pourraient donc se voir assujettis, s’ils sont visés par décret, à la double obligation de maintenir des services essentiels et des services assurant le bien-être de la population.

Le pouvoir spécial du ministre du Travail

La Loi 89 confère de plus au ministre du Travail le pouvoir, s’il estime qu’une grève ou un lock-out menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population, de déférer le différend à un arbitre afin que ce dernier détermine les conditions de travail applicables aux salariés visés et de mettre ainsi fin à la grève ou au lock-out. Ce pouvoir est conditionnel à ce qu’une intervention préalable d’un conciliateur ou d’un médiateur se soit avérée infructueuse.

Afin de recourir à ce pouvoir spécial, le ministre du Travail doit aviser les parties qu’il défère le différend à l’arbitrage. La grève ou le lock-out en cours prend fin à la date et à l’heure indiquées dans l’avis, et les conditions de travail applicables aux salariés visés font l’objet d’un gel conformément à l’article 59 du Code du travail.

Les parties ont alors dix (10) jours pour choisir l’arbitre qui tranchera les différentes conditions de travail faisant l’objet d’un différend. À défaut d’entente, l’arbitre est nommé par le ministre du Travail. La sentence arbitrale a l’effet d’une convention collective signée par les parties. 

Les secteurs public et parapublic sont exclus du champ d’application de ce pouvoir, c’est-à-dire, principalement, la fonction publique, les collèges, les centres de services scolaires et Santé Québec, laquelle comprend les établissements de santé. Il en est de même des entreprises ambulancières, Urgences-santé et les centres de communication santé visés par la Loi sur les services préhospitaliers d’urgence, ainsi que la plupart des organismes publics et les CPE qui ne sont donc pas susceptibles de se voir imposer l’arbitrage exécutoire en vertu de ce nouveau pouvoir ministériel.

Les associations syndicales ont déjà annoncé leur intention de contester la constitutionnalité de la Loi 89. Pour sa part, le ministre Boulet estime que cette Loi permet une mise en balance du droit d’association avec les autres droits prévus aux Chartes, et qu’elle est justifiée par l’intérêt général de la société, ce qui lui permettrait de passer le test des tribunaux.

Nous demeurons à votre disposition pour répondre à vos questions ou vous accompagner quant aux impacts de ces nouvelles dispositions sur vos activités.