Dès le 30 avril 2021, les employeurs dans l’industrie de la construction ne seront plus tenus de prioriser l’embauche de candidats dont le domicile se situe dans la même région où les travaux de construction auront lieu.
En effet, c’est ce qu’a statué le Tribunal administratif du travail (le « TAT ») dans l’affaire Association de la construction du Québec (ACQ) et Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction), rendue le 9 août 2019.
À noter que cette décision du TAT est contestée en Cour supérieure, un pourvoi en contrôle judiciaire ayant été déposé le 26 août dernier. Nous suivrons ce dossier de près.
L’historique « régional » dans l’industrie de la construction
À l’exclusion de quelques salariés dits « préférentiels », les employeurs sont tenus de prioriser, lors de l’embauche, les candidats qui respectent les exigences de compétences et qui habitent dans la région où les travaux doivent être exécutés. Cette priorité d’embauche est prévue au Règlement sur l’embauche et la mobilité des salariés dans l’industrie de la construction (le « Règlement ») ainsi que dans les conventions collectives intervenues entre l’ACQ et le CPQMC, la CSD Construction, la CSN et le SQC.
Les employeurs qui ne respectent pas cette restriction peuvent faire l’objet de griefs pour contravention aux conventions collectives et sont passibles d’amendes pour non-conformité aux règlements.
Cette priorité régionale cause un véritable préjudice aux employeurs. En effet, non seulement certains doivent refuser l’embauche de salariés qui n’habitent pas dans la région où s’effectuent les travaux, mais au surplus, ils doivent aussi dû mettre fin aux contrats de travail de salariés qui décident d’établir leur domicile dans une région différente de celle où s’effectuent les travaux.
Les prétentions de l’ACQ devant le TAT
L’Association de la construction du Québec soutient que cette condition d’emploi, basée sur le lieu du domicile, cause un préjudice aux salariés et constitue une atteinte injustifiée à leur droit à la vie privée garanti par les Chartes. Chacun a le droit d’établir son domicile à l’endroit de son choix.
L’ACQ se base notamment sur les principes énoncés dans l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville de), rendu par la Cour suprême du Canada, où il fut reconnu que l’obligation d’une employée d’une municipalité de maintenir son lieu de résidence à l’intérieur du territoire de la municipalité contrevenait à son droit à la vie privée.
La décision rendue par le TAT
Le TAT constate que le lieu de résidence du salarié est un critère déterminant dans le processus d’embauche en vertu du Règlement et des conventions collectives applicables. Pourtant, ces règles relatives à la mobilité ne sont plus justifiées dans le contexte actuel. Le TAT conclut que cette atteinte est injustifiée et contraire aux droits et libertés conférés par les Chartes.
Vu la portée excessive de cette restriction et ses conséquences disproportionnées, le TAT déclare invalides et inopérants les articles 35 et 38 du Règlement ainsi que les clauses 15.01 à 15.03 des conventions collectives intervenues entre l’ACQ et le CPQMC, la CSD Construction, la CSN et le SQC. Toutefois, le TAT suspend l’effet de son jugement jusqu’au renouvellement de ces conventions collectives, lesquelles expirent le 30 avril 2021.
À moins que la décision du TAT ne soit renversée, les employeurs dans l’industrie de la construction devront s’affairer à revoir leurs politiques d’embauche et ajuster le tir si nécessaire afin de retirer, à compter du 30 avril 2021, la priorité d’embauche en fonction du lieu de résidence des salariés.
Référence : Association de la construction du Québec (ACQ) et Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction), 2019 QCTAT 3625.