La Cour suprême du Canada a rendu, le 19 octobre dernier, la décision R. c. Cole, 2012 CSC 53 dans laquelle elle aborde certains des principes applicables en matière de droit à la vie privée des salariés lorsqu’ils utilisent un ordinateur de l’employeur. Bien que la décision s’inscrive dans le cadre du droit criminel, certains de ces principes sont susceptibles d’être appliqués par nos tribunaux en matière de droit du travail et méritent notre attention.
Les faits
Un enseignant dans une école secondaire est accusé de possession de pornographie juvénile et d’utilisation non autorisée d’un ordinateur. En effet, un technicien a trouvé, lors d’un exercice de maintenance, des photographies d’élèves mineures nues. Il en a informé son employeur, un Conseil scolaire, dont les représentants ont pris possession de l’ordinateur, ont fait des copies du disque dur et ont remis le tout à la police. Celle-ci a procédé à l’analyse du contenu du matériel sans obtenir de mandat et a remis le tout à la Couronne qui a porté les accusations contre l’enseignant.
Les questions soulevées par la Cour suprême
La Cour suprême se prononce essentiellement sur l’admissibilité en preuve du contenu de l’ordinateur saisi par la police sans avoir de mandat à cet effet. Cette « fouille » au sens de la Charte canadienne des droits et libertés était-elle abusive et, si c’est le cas, les éléments de preuve obtenus doivent-ils être écartés ? La Cour décide ultimement que la fouille était abusive, mais que les éléments de preuve ne doivent pas être écartés puisque cela aurait une incidence négative sur la fonction de la recherche de la vérité et serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
La Cour répond cependant à une première question, qui retient plus particulièrement notre attention : l’enseignant pouvait-il s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée à l’égard de l’ordinateur que son employeur lui a fourni pour le travail ? Précisons que la Cour suprême répond toujours à cette question en vue de décider si la fouille effectuée par la police était légale.
La décision de la Cour Suprême eu égard à l’attente raisonnable de vie privée
La Cour commence par souligner qu’afin de déterminer si l’enseignant avait une attente raisonnable en matière de vie privée, il faut prendre en considération l’ensemble des circonstances. Ces circonstances s’apprécient, selon la Cour, en fonction de quatre points : 1) l’examen de l’objet de la prétendue fouille, 2) la question de savoir si la personne possédait un droit direct à l’égard de l’objet, 3) la question de savoir si la personne avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet et 4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances.
La Cour souligne que les appareils connectés à Internet révèlent nos intérêts et préférences et qu’ils constituent dès lors des « renseignements biographiques » faisant partie de la vie privée d’une personne. De plus, selon la Cour, bien que le fait que l’employeur soit propriétaire de l’ordinateur soit une considération pertinente, elle n’est pas déterminante. Nous pouvons donc conclure qu’un employeur ne pourrait pas « fouiller » le contenu des ordinateurs qu’il met à la disposition des salariés sur cette seule base.
La Cour se prononce également sur l’impact que peuvent avoir les politiques d’entreprise relativement à l’utilisation du matériel informatique et plus particulièrement quant à leur impact sur l’attente raisonnable d’une personne en matière de respect de sa vie privée. Ainsi, bien que de telles politiques, pratiques ou coutumes en vigueur dans un milieu de travail puissent être pertinentes en ce qu’elles limitent l’attente en matière de respect de la vie privée, il faut s’en remettre aux circonstances, c’est-à-dire aux réalités opérationnelles, pour évaluer l’amplitude de cette attente. À ce sujet, un juge, pour la majorité, s’exprime ainsi :
« [52] Les politiques, pratiques et coutumes en vigueur dans le milieu de travail sont pertinentes dans la mesure où elles concernent l’utilisation des ordinateurs par les employés. Ces « réalités opérationnelles » peuvent réduire l’attente en matière de respect de la vie privée que des employés raisonnables pourraient avoir à l’égard de leurs renseignements personnels. […]
[53] Cependant, même modifiées par la pratique, les politiques écrites ne sont pas déterminantes quant à l’attente raisonnable d’une personne en matière de respect de sa vie privée. Quoi que prescrivent les politiques, il faut examiner l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le respect de la vie privée constitue une attente raisonnable dans ce contexte particulier […]. »
Dans le cas de cet enseignant, la politique de l’employeur permettait l’utilisation pour des fins personnelles de son ordinateur, ce qui soutenait son attente au respect de sa vie privée, mais précisait que son ordinateur pouvait faire l’objet de vérification par l’employeur, limitant ainsi cette attente. Après analyse, la Cour conclut que l’attente de l’enseignant au respect du caractère privé du contenu de l’ordinateur de son employeur était raisonnable.
Sans se prononcer, comme la Cour le souligne, « sur les subtilités du droit d’un employeur de surveiller les ordinateurs qu’il met à la disposition de ses employés » [par. 60], celle-ci juge que l’employeur avait le pouvoir de saisir et de fouiller un ordinateur portatif fourni à un salarié s’il avait des motifs raisonnables de croire que le disque dur contenait des photographies compromettantes d’un élève. Notons cependant que la Cour insiste sur le fait que l’employeur avait en l’espèce une obligation légale de maintenir un milieu d’apprentissage sécuritaire, en application de la législation ontarienne.