Dans la récente décision Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau (CSN) c. Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-la-Gatineau, la Cour d’appel se prononce sur les droits des employeurs en matière de filature et les circonstances justifiant le recours à ce moyen d’enquête. Dans cette affaire, l’employeur a congédié la plaignante suite au visionnement de la bande vidéo obtenue par filature.
Les faits
La plaignante occupe un poste de préposée aux bénéficiaires. En 2010, elle présente un problème médical à l’épaule qui nécessite un arrêt de travail. Alors qu’elle est en congé de maladie et bénéficie de prestations d’assurance-salaire, le médecin désigné par l’employeur procède à une expertise médicale de la salariée et émet l’opinion suivante :
« Il est évident que madame simule. Nous avons été en mesure de l’observer descendre de son véhicule automobile, mobiliser son bras gauche dans des amplitudes normales pour placer sa bourse sur son épaule gauche. Il n’y avait aucun inconfort objectivable ni aucune hésitation à cette mobilisation normale selon nous. »
Sur la foi de cette opinion, l’employeur décide d’entreprendre une filature de la plaignante. Suite au visionnement de la bande vidéo résultant de la filature, le médecin de l’employeur conclut que la salariée se livre à des activités personnelles incompatibles avec l’incapacité alléguée à son épaule.
Considérant qu’elle bénéficie de prestations d’assurance-salaire sans droit, en plus de manquer gravement à ses obligations de loyauté et d’honnêteté à son égard, l’employeur prend la décision de mettre fin à son emploi.
L’arbitrage de grief
À l’audience du grief contestant le congédiement de la plaignante, le syndicat formule une objection à la recevabilité de la preuve découlant de la filature.
Rappelons qu’en droit du travail, pour qu’une preuve obtenue par filature soit admissible, l’employeur doit avoir des motifs raisonnables de douter de l’incapacité alléguée par l’employé. De plus, l’employeur doit démontrer que le recours à la filature est nécessaire et qu’il n’existe pas d’autres moyens pour vérifier le comportement du salarié. Finalement, la filature doit être conduite de manière raisonnable.
Appliquant ces critères, l’arbitre déclare inadmissible la preuve vidéo. Selon lui, l’employeur ne disposait pas de motifs raisonnables pour procéder à la filature compte tenu de l’absence de crédibilité du médecin de l’employeur et de l’insuffisance des preuves médicales indiquant que la salariée exagérait ses symptômes. De plus, l’employeur aurait dû considérer d’autres options, notamment suggérer à l’employée de reprendre son travail tel que recommandé par son médecin.
Finalement, l’arbitre conclut que l’utilisation de cette preuve obtenue en violation du droit à la vie privée de la salariée serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
Le jugement de la Cour supérieure
Saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire, la juge de la Cour supérieure conclut que la bande vidéo est admissible en preuve puisqu’elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Par ailleurs, l’employeur avait un motif raisonnable pour soumettre la salariée à une filature.
Le jugement de la Cour d’appel
La Cour d’appel confirme le jugement de la Cour supérieure. D’abord, on pouvait difficilement reprocher à l’employeur d’avoir fondé sa décision sur les recommandations faites par son médecin. La Cour précise que « ne pas en tenir compte relèverait d’un angélisme inapproprié ».
Par ailleurs, même en l’absence de tels motifs raisonnables, l’arbitre aurait néanmoins dû conclure que la preuve était admissible parce qu’elle n’était pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice. En effet, la filature avait été limitée à une seule journée et à des lieux publics à la vue de tous. Par conséquent, la gravité de l’atteinte à la vie privée de la salariée était minime.
Référence : Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Vallée-de-la-Gatineau (CSN) c. Centre de santé et de services sociaux de la Vallée-de-la-Gatineau, 2019 QCCA 1669.
L’auteur tient à remercier Meriem Rakkay, stagiaire en droit, pour sa précieuse collaboration.